Les ONG à l'arrêtResponsable humanitaire: «nous avons été trompés» par les talibans
ATS
12.1.2023 - 08:03
Les organisations non gouvernementales (ONG) ont été «trompées» par les talibans au pouvoir en Afghanistan, fustige un responsable d'une importante ONG. Selon lui, ils empêchent de fournir une aide vitale à des millions d'Afghans en interdisant aux femmes du pays de travailler avec elles.
Keystone-SDA
12.01.2023, 08:03
ATS
L'Afghanistan est en proie à l'une des pires crises humanitaires de la planète: plus de la moitié de ses 38 millions d'habitants est confrontée à une insécurité alimentaire aiguë et trois millions d'enfants sont menacés de malnutrition.
La situation devrait s'aggraver après que plusieurs ONG ont décidé de suspendre leurs activités en raison de l'interdiction pour les femmes afghanes de travailler dans ces organisations, prononcée le 24 décembre par le gouvernement des talibans.
Les talibans avaient «promis par l'intermédiaire de leurs représentants qu'il n'y aurait pas d'interdiction à l'éducation des femmes ou des travailleuses», a rappelé Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), interrogé par l'AFP.
«Travail impossible»
«Il est clair que nous avons été trompés par le gouvernement taliban. Clairement, ils rendent notre travail impossible maintenant», a-t-il poursuivi. En visite à Kaboul, le responsable humanitaire a exhorté le gouvernement à revenir sur cette interdiction et indiqué qu'il refusait de reprendre les activités du NRC en l'absence des femmes.
«Je suis ici pour dire aux dirigeants talibans et à tous ceux qui peuvent les influencer que nous devons être en mesure de reprendre le travail avec des travailleuses. Sinon, des vies seront perdues», a-t-il prévenu.
«Nous ne pouvons pas travailler sans nos collègues féminines et nous ne travaillerons pas sans elles», a insisté le dirigeant associatif, dont l'ONG emploie quelque 500 Afghanes.
En dépit de leurs promesses de se montrer plus souples, les talibans sont revenus à l'interprétation ultra-rigoriste de l'islam qui avait marqué leur premier passage au pouvoir (1996-2001), et ont multiplié les mesures liberticides à l'encontre des femmes depuis leur retour au pouvoir en août 2021.
Quelques jours avant de viser les ONG, les autorités afghanes avaient pris la décision de fermer les universités aux étudiantes. Les deux directives émanent du chef suprême, Hibatullah Akhundzada.
Débat féroce
Le gouvernement taliban, qui n'a pas été reconnu par la communauté internationale, affirme que ces interdictions ont été décidées parce que les femmes ne respectaient pas le port du hijab (en Afghanistan, le corps doit être entièrement couvert ainsi que le visage), des allégations démenties par les humanitaires.
Selon M. Egeland, plusieurs hauts responsables talibans sont opposés à ces décrets et reconnaissent que beaucoup d'entre eux avaient envoyé leurs filles dans des écoles gérées par des ONG avant la fin de la guerre avec les Américains et les forces de l'OTAN.
«J'entends dire qu'il y a un débat féroce au sein des talibans [...] Il y a une bataille interne et le mauvais groupe semble avoir le dessus maintenant», a rapporté M. Egeland.
Il a appelé les pays occidentaux à renvoyer des diplomates en Afghanistan, afin d'exercer davantage de pression sur les talibans pour qu'ils respectent les droits fondamentaux.
«La fin de notre travail»
«Nous sommes seuls. Où sont les partenaires du développement? Où sont les institutions financières internationales qui soutenaient l'ensemble de la société ici?» s'est-il interrogé.
Dans la société afghane, profondément conservatrice et patriarcale, il n'est pas permis à une femme de parler à un homme qui n'est pas un proche parent. Seule une femme peut donc entrer en contact avec une bénéficiaire d'aide du même sexe.
«Nous ne travaillerons pas uniquement avec des hommes», a prévenu M. Egeland, répondant aux arguments des talibans qui affirment que l'aide peut toujours parvenir aux foyers par l'intermédiaire des hommes de la famille.
Si l'interdiction n'est pas levée, c'est l'ensemble du travail humanitaire qui sera paralysé, prévient le responsable du NRC: «Les donateurs, au final, n'auront pas de travail à financer et nous ne pourrons pas payer les salaires, donc, ce sera la fin de notre travail».