Saad Hariri, pilier de la politique libanaise, a une nouvelle fois été désigné jeudi Premier ministre. Il promet un gouvernement d'experts pour enrayer l'effondrement économique dans un pays qui attend désespérément des réformes toujours boudées par les dirigeants.
Ironie du sort, M. Hariri avait démissionné il y a un an quasiment jour pour jour. Cela sous la pression d'un soulèvement populaire inédit, déclenché contre les manquements d'une classe politique quasi inchangée depuis des décennies, accusée de corruption et d'incompétence.
Peu après sa désignation jeudi par le président Michel Aoun à l'issue de consultations parlementaires, l'homme d'affaires de 50 ans a promis de former «rapidement» un gouvernement. «Le temps presse (...). Le pays est confronté à son unique et dernière chance», a lancé M. Hariri dans une allocution télévisée.
L'homme politique héritier d'une immense fortune a déjà dirigé trois gouvernements. Il a promis jeudi «un gouvernement d'experts», qui ne seraient pas issus de partis politiques, pour lancer «des réformes économiques, financières et administratives» en accord avec «l'initiative française».
Venu à deux reprises au Liban après l'explosion meurtrière du 4 août au port de Beyrouth, le président français, Emmanuel Macron, a lancé un plan de sortie de crise, réclamant un gouvernement «d'indépendants».
«Profond scepticisme»
«Ce sont les forces politiques traditionnelles qui encore une fois ont choisi la marche à suivre, malgré leurs nombreux échecs du passé, et le profond scepticisme quant à l'avenir», a réagi jeudi sur Twitter le coordinateur spécial de l'ONU pour le Liban, Jan Kubis. Avant de débloquer des aides financières vitales, la communauté internationale veut voir le Liban adopter de véritables réformes.
C'est vendredi après-midi que débuteront les consultations de M. Hariri avec les différents blocs parlementaires pour former le gouvernement, selon le Parlement. Mais au Liban multiconfessionnel, où le président doit être chrétien maronite, le Premier ministre musulman sunnite et le chef du Parlement musulman chiite, les politiciens sont abonnés aux marchandages interminables sur la répartition des portefeuilles, qui font traîner le processus pendant des mois.
M. Hariri a obtenu l'appui de la plupart des députés sunnites et de la formation du chef druze, Walid Joumblatt. Le bloc du Hezbollah, poids lourd de la politique libanaise, n'a pas émis de préférence. Son principal allié, le mouvement Amal, a soutenu la désignation de M. Hariri, laissant croire à un accord tacite du Hezbollah chiite.
Pays encore traumatisé
La nomination intervient dans un Liban encore traumatisé par l'explosion du 4 août qui a fait plus de 200 morts et des milliers de blessés. De l'aveu même des autorités, la déflagration est partie d'un entrepôt où était stockée depuis plus de six ans et «sans mesures de précaution» une énorme quantité de nitrate d'ammonium.
Plus de deux mois après, l'enquête locale n'a pas apporté de «résultats crédibles», a déploré Human Rights Watch (HRW). L'organisation craint des «ingérences politiques» et des «défaillances» du système judiciaire qui rendent «vraisemblablement impossible» une investigation «crédible et impartiale».
Le gouvernement actuel de Hassan Diab a démissionné dans la foulée de cette tragédie du 4 août. Les défis qui attendent le nouveau gouvernement sont colossaux.
«Risque de dislocation»
Il y a un an, le pays connaissait un soulèvement populaire inédit, réclamant notamment des services publics dignes de ce nom dans un Liban abonnés aux coupures d'électricité quotidiennes, et une amélioration de la situation économique, qui n'a fait qu'empirer depuis. Outre une dépréciation de la monnaie et une inflation galopante, des dizaines de milliers de personnes ont connu des licenciements ou des coupes salariales. La moitié de la population vit dans la pauvreté.
Et si le Liban avait entamé en mai des négociations avec le FMI en vue d'un plan de sauvetage d'environ 10 milliards de dollars, ce processus est totalement au point mort. «Si le Liban ne mène pas les réformes qu'il convient de mener, alors c'est le pays lui-même qui risque la dislocation», a averti mercredi le chef de la diplomatie française.
A Tripoli, ville pauvre du nord, bastion traditionnel des Hariri, mais aussi place forte de la contestation, trois personnes ont été blessés dans des tirs de célébration, selon des sources médicales.
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