Le sort du premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi était mercredi entre les mains de ses partenaires politiques, qui négocient sa démission. La rue, elle, réclame toujours la «chute du régime» après 240 morts dans des manifestations et violences.
Rassemblés jour et nuit place Tahrir à Bagdad dans un concert de klaxons et sous les grenades lacrymogènes des forces de l'ordre, ou dans différentes villes du sud du pays, les manifestants surveillent les manoeuvres politiques, prévenant qu'ils n'accepteront rien de moins que le départ de tous les responsables.
Dans la nuit de mardi à mercredi, le chef des paramilitaires pro-Iran du Hachd al-Chaabi au parlement, Hadi al-Ameri, qui avait jusque-là soutenu M. Abdel Mahdi, a dit accepter de «travailler avec» l'influent leader chiite Moqtada Sadr.
Ce dernier, qui réclame depuis début octobre la démission d'un gouvernement qu'il avait aidé à former il y a un an, a pressé mercredi M. Ameri de passer à l'action. Sous peine de «transformer l'Irak en Syrie ou en Yémen» – deux pays où des révoltes contre le pouvoir ont tourné à la guerre civile.
«Le pouvoir au peuple»
L'ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de l'Iran, puissance agissante en Irak, a, lui, mis en garde contre «le vide» dont ne sortirait «aucune action positive». «Faire peur en expliquant qu'il n'y a pas d'alternative (...) est un faux prétexte», a rétorqué l'ancien premier ministre irakien Iyad Allaoui, membre de la coalition gouvernementale qui réclame désormais sa démission.
Mardi soir, le président Barham Saleh a reçu M. Ameri et le chef du parlement Mohammed al-Halboussi, qui avait appelé plus tôt le premier ministre à se présenter «immédiatement» devant l'Assemblée, selon une source gouvernementale. Le sort d'Adel Abdel Mahdi, 77 ans, un indépendant sans base partisane ni populaire, est entre les mains du parlement: les députés, notamment sadristes, réclament une séance de questions puis un vote de défiance.
M. Abdel Mahdi n'a jusqu'ici pas réagi à cet appel. Le parlement a consacré sa séance de mercredi au seul vote de l'abaissement de l'âge de la retraite. Depuis le début du mouvement le 1er octobre, les manifestants n'ont cessé de répéter qu'ils refusaient toute récupération politique.
Pour eux, la chute du gouvernement ne suffit pas. Il faut renouveler la totalité de la classe politique arrivée au pouvoir à la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003 et inchangée depuis. Ils veulent, disent-ils, en finir avec le compliqué système de répartition des postes par confession ou par ethnie, rongé par le clientélisme et qui tient toujours à l'écart les jeunes, pourtant majoritaires dans la population.
Pour eux, il faut une nouvelle Constitution et surtout que les «gros poissons» de la corruption rendent l'équivalent de deux fois le PIB de l'Irak, une somme évaporée depuis 2003 dans un pays présenté comme l'un des plus corrompus au monde.
«Pause»?
A Tahrir, les manifestants n'ont jamais été aussi nombreux. Ils plaident pour continuer ce premier mouvement social spontané post-Saddam Hussein, affichant leur détermination malgré les violences. La première semaine de contestation, du 1er au 6 octobre, s'est soldée par la mort, officiellement, de 157 personnes, surtout des manifestants abattus par des tireurs que l'Etat n'a toujours pas identifiés ou arrêtés.
La deuxième, lancée jeudi dernier, a semblé moins sanglante et plus festive, avec des manifestations monstres dans la liesse et des piquets de grève qui ont paralysé universités, écoles et administrations. Des violences nocturnes ont toutefois eu lieu contre des QG de partis et de milices.
La démission ou le limogeage de M. Abdel Mahdi serait «vu comme un tournant par les manifestants», affirme à l'AFP Maria Fantappie, du centre de réflexion International Crisis Group. Mais cela pourrait marquer «une pause» plutôt qu'une «fin du mouvement», prévient cette spécialiste.
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