Affaire Khashoggi Mohammed ben Salmane, entre réformisme et autoritarisme

AFP

24.10.2018 - 10:07

Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane, dont l'image souffre de l'affaire Khashoggi, a connu une ascension fulgurante marquée par des réformes sociétales dans ce pays ultraconservateur, mais aussi par des actes de répression dénoncés comme de l'autoritarisme.

Le président américain Donald Trump qui, au-delà de contrats lucratifs, a beaucoup misé sur lui dans sa stratégie visant à rapprocher Ryad d'Israël contre l'Iran, a affirmé que le prince Mohammed lui avait assuré ne pas être impliqué dans le meurtre du journaliste et opposant saoudien Jamal Khashoggi le 2 octobre au consulat du royaume à Istanbul.

Celui qu'on surnomme MBS, le jeune "roi en attente" de la monarchie pétrolière la plus puissante du Golfe, a cherché inlassablement à attirer les investisseurs étrangers en projetant l'image d'une Arabie "ouverte" et "modérée" afin de bâtir une économie moins dépendante de l'or noir.

Depuis 2015, il a écarté ses rivaux pour consolider son pouvoir et n'a pas hésité à ordonner des centaines d'arrestations dans les milieux religieux, intellectuels, économiques et au sein même de la famille royale, des mesures qualifiées de "modernisation de l'autoritarisme" par Stéphane Lacroix, spécialiste de l'Arabie saoudite.

Après plus de deux semaines de démentis entrecoupés de longs silences, le pouvoir à Ryad a admis le 20 octobre que Jamal Khashoggi, qui collaborait avec le Washington Post, avait bel et bien été tué par des agents saoudiens, une affaire qui a provoqué une onde de choc mondiale et terni l'image de MBS, homme fort de l'Arabie saoudite à l'âge de 33 ans.

Les autorités ont procédé à des limogeages et à des arrestations; tout en cherchant à dédouaner le prince héritier, affirmant qu'il n'avait "pas (été) informé" de l'opération contre Khashoggi.

Son père, le roi Salmane, âgé de 82 ans, qui lui a confié la gestion des affaires courantes l'année dernière, semble encore le soutenir puisqu'il l'a nommé samedi à la tête d'un comité ministériel chargé de "restructurer" les services de renseignement.

Pour bien montrer qu'il est toujours aux commandes, MBS a fait une brève apparition mardi à l'ouverture d'un forum international sur l'investissement (FII) à Ryad, boycottée par des dirigeants politiques et chefs d'entreprise occidentaux.

Méga-projets

Né le 31 août 1985, Mohammed ben Salmane, homme à la barbe noire et à la calvitie naissante, est le fils préféré du souverain. Il avait écarté son cousin Mohammed ben Nayef pour devenir en juin 2017 prince héritier.

MBS a développé des relations étroites avec la Maison Blanche sous le président Trump, en particulier avec son gendre et conseiller Jared Kushner qui, lundi, lui a recommandé d'être "complètement transparent" sur le meurtre de Khashoggi.

Mohammed ben Salmane a cherché à cultiver en Occident l'image d'un réformateur, réduisant les pouvoirs de la police religieuse, donnant son accord à la réouverture de cinémas, à l'organisation de concerts et à l'entrée des femmes dans les stades.

Les femmes ont obtenu l'autorisation de conduire, une décision qui fait partie de son ambitieux plan "Vision 2030" visant à diversifier l'économie et à l'orienter davantage vers les services et les nouvelles technologies.

Le royaume n'a cessé d'annoncer des méga-projets de développement, notamment dans les domaines du tourisme et du divertissement.

La pièce centrale de "Vision 2030" a été l'intention de vendre 5% des parts du géant pétrolier Aramco, censés rapporter quelque 100 milliards de dollars à l'Etat, mais ce projet n'a cessé d'être reporté.

«Il ne croit qu'en lui»

Depuis qu'il est prince héritier, MBS n'a pas hésité à réprimer avec une poigne de fer toute contestation de la monarchie absolue.

En septembre 2017, Human Rights Watch et Amnesty International ont fait état de rafles ayant visé des dizaines de journalistes, d'intellectuels et de dignitaires religieux.

C'est à cette époque que Jamal Khashoggi, journaliste à la réputation internationale et critique envers MBS, part en exil aux Etats-Unis.

En novembre 2017, plus de 200 personnalités (princes, ministres, ex-ministres, hommes d'affaires) sont arrêtées lors d'une purge "anticorruption".

Au même moment, le Premier ministre libanais Saad Hariri annonce sa démission depuis Ryad où il est retenu pendant deux semaines, apparemment sur ordre de MBS.

En dépit de ses réformes, Mohammed ben Salmane dirige le royaume comme son grand-père: "c'est un leader tribal archaïque", "il croit en lui-même et en personne d'autre", affirmait Khashoggi au magazine Newsweek avant son assassinat.

Politique étrangère musclée

En octobre 2017, lors de la première édition du FII, le prince avait promis une Arabie "tolérante", en rupture avec l'image d'un pays longtemps considéré comme l'exportateur du wahhabisme, version rigoriste de l'islam qui a nourri de nombreux jihadistes.

Sous MBS, le royaume saoudien a adopté une politique étrangère plus musclée, n'hésitant pas à intervenir militairement au Yémen contre des rebelles soutenus par l'Iran, au prix d'une forte dégradation de son image en raison de bavures à répétition contre des civils dénoncées par l'ONU.

Autre signe de cette politique d'affirmation saoudienne: la crise frontale avec le Qatar, mis au ban en 2017 par Ryad et plusieurs de ses alliés qui l'accusent de soutenir la confrérie "terroriste" des Frères musulmans et de se rapprocher de l'Iran.

MBS est "une machine intellectuelle" mais il peut être "impulsif", disait fin 2017 un haut responsable occidental sous couvert d'anonymat.

Diplômé de droit de la King Saud University, le prince a dit que sa mère l'avait élevé strictement. Il est père de deux garçons et de deux filles.

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