Le soir où le pays a failli basculer Ouvreture du procès de l'attentat Kirchner en Argentine

AFP

26.6.2024

Délire d'un trio de paumés politiquement haineux, ou vaste complot pas encore élucidé ? Le procès de l'attentat raté par miracle en 2022 contre Cristina Kirchner, figure clef de la politique argentine, un soir où le pays aurait pu basculer dans un violent chaos, s'est ouvert mercredi à Buenos Aires.

Cristina Kirchner, absente mercredi, ne devrait pas témoigner avant plusieurs semaines. A 71 ans, elle reste influente en coulisses au sein de l'opposition au président ultralibéral Javier Milei (archives). 
Cristina Kirchner, absente mercredi, ne devrait pas témoigner avant plusieurs semaines. A 71 ans, elle reste influente en coulisses au sein de l'opposition au président ultralibéral Javier Milei (archives). 
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L'attentat, vécu à l'époque comme un choc, le plus grave acte de violence politique depuis le retour de la démocratie il y a 40 ans, «a été planifié avec anticipation», a affirmé l'acte d'accusation lu mercredi par le greffe, en ouverture du procès voué à durer de longs mois, et en présence des trois accusés, a constaté l'AFP.

Cristina Kirchner, absente mercredi, ne devrait pas témoigner avant plusieurs semaines. A 71 ans, et bien qu'au second plan après 20 ans comme Première dame, cheffe de l'Etat, puis vice-présidente, elle reste influente en coulisses au sein de l'opposition au président ultralibéral Javier Milei.

Miracle, et frisson rétrospectif

Le 1er septembre 2022 vers 21H00, une petite foule de sympathisants se pressait comme chaque soir depuis quelques semaines devant le domicile de l'alors vice-présidente Cristina Kirchner pour lui exprimer son soutien, au long de son procès pour fraude pendant ses présidences (2007-2015).

Un bras se frayait un passage entre les épaules, pointait un pistolet «à moins d'un mètre» de la tête de Mme Kirchner. Par miracle, l'arme chargée n'avait pas été enclenchée, le coup ne partait pas. L'assaillant était maîtrisé sur-le-champ, puis emmené par la police.

Le lendemain, des manifestations émues de soutien à Mme Kirchner - dont une monstre à Buenos Aires - rassemblaient des dizaines de milliers de personnes dans plusieurs villes du pays.

Péronistes de toujours bien sûr, mais aussi nombre d'Argentins loin d'être fans de «CFK» (surnom de Cristina), mais conscients «qu'une limite a été franchie» avec la violence verbale de la polarisation politique accouchant de violence physique.

«Nous venons de vivre un miracle», observa l'historien Sergio Wischnevsky, convaincu que si le coup de feu avait tué, le pays «serait entré dans une spirale de violence» qui l'aurait conduit «en enfer», avec de possibles protestations voire vengeances.

Improbable trio d'accusés

Les trois accusés étaient présents mercredi. L'assaillant, Fernando Sabag Montiel, 37 ans, un précaire un peu perdu, chauffeur VTC occasionnel, porteur de tatouages évoquant une symbolique néo-nazie, nourrissant une haine envers Mme Kirchner. Et à la personnalité «narcissique» et au discours «extravagant», selon expertises.

«Ils me séquestrent», disait un feuille A4 manuscrite, tendue mercredi par Sabag Montiel, détendu sur son siège, à destination des photographes avant l'ouverture de l'audience.

A quelques mètres sa petite amie d'alors, Brenda Uliarte, 25 ans, inculpée comme co-auteure, et qui l'aurait incité à l'action, selon des messages et chats entre eux lus mercredi. «L'idée est que tu lui mettes une balle et que tu t'échappes», aurait-elle écrit peu avant.

Et Nicolas Carrizo, 29 ans, un ami inculpé pour complicité, mais qui selon l'accusation «est intervenu activement» dans la planification et pourrait être requalifié  comme «co-auteur». «J'applaudis (Sabag), il a été à une seconde de devenir un héros national», écrivit-il dans un message.

Le groupe - d'autres furent entendus - vendait à l'occasion des friandises dans la rue : le «gang des barbes à papa», railla la presse.

Plus de 270 témoins sont attendus : enquêteurs, agents de sécurité de Mme Kirchner, amis des accusés, et l'ex-présidente elle-même, au procès qui à raison d'un jour par semaine, devrait durer «entre six mois et un an», selon l'avocat de Mme Kirchner, Me Marcos Aldazabal.

Le complot, les théories

Ne réalisant pas sur le moment, mais secouée à postériori, Cristina Kirchner dira «être en vie grâce à Dieu et à la Vierge».

Puis accusera une machination plus vaste, des financements privés «identifiés», selon elle, au gouvernement de son successeur libéral Mauricio Macri (2015-2019).

En vain, elle tenta de faire récuser la juge d'instruction, qui au final n'a pas retenu «d'éléments objectifs» suggérant une piste politique. Par exemple des propos étrangement prémonitoires prêtés à un député de droite, ou un groupuscule d'ultradroite, «Revolucion Federal», dont Brenda Uliarte fut - très brièvement - proche.

Polarisée comme toujours, l'Argentine politique et des réseaux sociaux se divisa en deux : les sceptiques dénoncèrent un «pseudo-attentat» monté de toutes pièces pour «victimiser» Mme Kirchner, et les pro-Cristina furent convaincus d'un sombre complot.

L'AFP-Vérification digitale dût déconstruire en quelques jours un torrent de fausses informations.

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