Colombie Plus de 6400 exécutions extra-judiciaires commises par l'armée

ATS

18.2.2021 - 22:35

Plus de 6400 civils ont été sommairement exécutés et présentés comme tués au combat en Colombie, trois fois plus qu'estimé jusque-là, en près de six décennies de guerre interne (archives).
Plus de 6400 civils ont été sommairement exécutés et présentés comme tués au combat en Colombie, trois fois plus qu'estimé jusque-là, en près de six décennies de guerre interne (archives).
ATS

Plus de 6.400 civils ont été sommairement exécutés et présentés comme tués au combat en Colombie, trois fois plus qu'estimé jusque là dans ce scandale des «faux positifs», le plus grave impliquant l'armée en près de six décennies de guerre interne.

La Juridiction spéciale de paix (JEP) a annoncé jeudi avoir établi qu'"au moins 6.402 Colombiennes et Colombiens sont morts et ont été illégitimement présentés comme tombés au combat entre 2002 et 2008», selon un communiqué.

Ce chiffre donne une nouvelle dimension à ce «phénomène macro-criminel», a estimé la JEP, créée par l'accord de paix de 2016 avec l'ex-guérilla des Farc pour enquêter sur les crimes graves du conflit.

La révélation de cette pratique, désignée en argot militaire comme «faux positifs», a été l'un des plus grands scandales mettant en cause les agissements de l'armée colombienne durant sa confrontation avec les guérillas de gauche.

Bien que l'état-major nie qu'il s'agissait d'une pratique systématique, des officiers et des soldats ont admis devant la JEP leur implication dans ces crimes.

Les militaires tenaient le compte des guérilleros et narco-trafiquants tués lors d'affrontements et ces résultats «positifs» étaient récompensés en médailles, permissions et promotions.

Mais des milliers de morts étaient des civils abattus de sang froid.

La réalité du conflit

Jusqu'à l'an dernier, le parquet général a été saisi de 2.249 cas d'exécutions extra-judiciaires commises entre 1988 et 2014, dont 59% de 2006 à 2008, sous l'ex-président de droite Alvaro Uribe (2002-2010), aujourd'hui sénateur et qui nie toute responsabilité.

Selon Jorge Cuervo, professeur en politiques de justice et des droits humains de l'université Externado, l'instruction de la JEP «va beaucoup plus nous rapprocher (...) de la réalité de ce qui s'est passé durant le conflit armé colombien».

L'enquête au cas par cas du parquet est «insuffisante pour rendre compte» de la dimension de ces crimes, a-t-il estimé, saluant la décision de la justice de paix de regrouper les dossiers, comme pour les enlèvements commis par l'ex-guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).

La JEP a déterminé en janvier que 21.000 personnes ont été séquestrées en Colombie et inculpé huit anciens chefs guérilleros.

Le général en retraite Mario Montoya, à l'époque commandant de l'armée de terre, est le militaire de plus haut rang entendu par la JEP. En dépit des témoignages le mettant en cause, il nie avoir incité ses troupes à exécuter des civils.

«Il y a 2.140 militaires impliqués dans des enquêtes sur des exécutions extra-judiciaires, soit 0,9% des hommes qui ont opéré dans l'armée de terre durant la période mentionnée (...) ce qui montre qu'à aucun moment, il n'y a eu de directive pour des faits aussi atroces», arguait son avocat Andrés Garzon lors d'une interview à l'AFP l'an dernier.

Les ex-guérilleros, paramilitaires et militaires qui comparaissent devant la JEP peuvent bénéficier de peines alternatives à la prison s'ils avouent leurs crimes. Sinon, ils risquent jusqu'à 20 ans d'emprisonnement devant la justice ordinaire.

Blanca Monroy, dont le fils a été assassiné par des militaires en 2008, s'est félicitée de l'avancée des investigations montrant «qu'il y a eu beaucoup de faux positifs sur tout le territoire».

«Cela nous attriste que l'armée de terre, qui doit veiller sur nous (...) ait fait pleurer tant de mères, laissé tant d'enfants orphelins, tant de soeurs éplorées», a-t-elle déclaré à l'AFP.

Brigade meurtrière

Selon la JEP, la majorité des «faux positifs», dont 25% de ces 6.402 cas, ont été tués dans le département d'Antioquia (nord-ouest), où l'armée et les paramilitaires d'extrême droite affrontaient durement les rebelles.

«La IVe Brigade, qui contrôlait cette zone, pourrait être responsable de 73% des morts répertoriées dans le département entre les années 2000 et 2013», a-t-elle précisé.

Les restes de victimes ont été trouvés dans le cimetière de Dabeiba (Antioquia), grâce aux confessions de militaires sur des cas qui, dans leur majorité, «n'avaient par fait l'objet d'investigations par la justice ordinaire», selon la JEP.

Outre l'Antioquia, les départements du Norte de Santander (Nord-Est), de Huila (centre), du Casanare (Est) et du Meta (Sud), ainsi que la côte caraïbe sont considérés comme prioritaires par la justice de paix.

Selon Tania Parra, avocate de deux militaires comparaissant devant la JEP, le rapport publié jeudi montre qu'il y a eu «complicité» des autorités pour «occulter» les faits.

Pour «les morts, une investigation est toujours ouverte», mais «ou il n'y a pas de résultats ou (...) les responsables sont absouts», a-t-elle déclaré à l'AFP.

Au moins 20 des 219 militaires cités devant la JEP sont sous protection suite à des menaces consécutives à leurs dépositions.

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