«Que n'ai-je pas fait pour ces gens?»Sheikh Hasina, la Dame de fer victime de la colère populaire
ATS
5.8.2024 - 13:12
La Première ministre du Bangladeh, Sheikh Hasina, qui a démissionné lundi face au mouvement de colère populaire, a longtemps incarné un espoir démocratique pour le Bangladesh, en contribuant à la chute de la dictature militaire dans les années 1980. Mais elle exerçait un pouvoir de plus en plus autoritaire.
Keystone-SDA
05.08.2024, 13:12
ATS
Depuis juillet, elle était confrontée à des manifestations de masse qui ont commencé par des rassemblements contre les quotas d'emploi dans la fonction publique, puis se sont transformées en une crise parmi les plus graves de ses quinze années de pouvoir, les opposants exigeant sa démission.
Lundi, la foule a pris d'assaut le palais de la Première ministre qui a pris la fuite en hélicoptère, quittant la capitale Dacca pour se mettre en «lieu sûr» selon son entourage, tandis que le chef de l'armée annonçait à la télévision la prochaine formation d'un «gouvernement intérimaire».
La dirigeante de 76 ans, à l'histoire personnelle indissociable des remous du pays, a remporté en janvier un cinquième mandat lors d'une élection controversée boycottée par l'opposition. Ses détracteurs accusent son gouvernement d'une multitude de violations des droits de l'homme, y compris le meurtre d'opposants.
Essor économique
Fille aînée de Sheikh Mujibur Rahman, le père fondateur du Bangladesh qui a pris son indépendance du Pakistan en 1971, Sheikh Hasina était au pouvoir depuis 2009, après un premier mandat entre 1996 et 2001.
Sous sa direction, le pays de 170 millions d'habitants, naguère l'un des plus pauvres au monde, a bénéficié d'un net essor économique grâce notamment au développement de son industrie textile.
Le Bangladesh a enregistré une croissance annuelle de plus de 6% en moyenne depuis 2009 et a dépassé l'Inde en revenu par habitant en 2021, malgré la persistance de fortes inégalités. Quelque 95% de la population y a désormais accès au réseau d'électricité.
Transformation
Avec un nouveau mandat, «nous transformerons l'ensemble du Bangladesh en un pays développé et prospère», avait promis Sheikh Hasina fin 2023, mais 18 millions de jeunes bangladais sont toujours sans emploi, selon les données du gouvernement.
La communauté internationale avait également salué l'ouverture du pays en 2017, sous sa direction, à des centaines de milliers de réfugiés rohingyas fuyant des massacres en Birmanie voisine.
Cependant, parallèlement, la quasi-totalité des dirigeants du principal parti d'opposition, le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) et des milliers de ses partisans ont été arrêtés, tandis que la liberté d'expression a été drastiquement réduite.
Exil en Inde
Sheikh Hasina fut pourtant un temps alliée du BNP pour contrer une dictature militaire. En 1975, elle a 27 ans et se trouve à l'étranger avec sa soeur quand son père, sa mère et ses trois frères sont assassinés à Dacca lors d'un premier coup d'Etat militaire.
Elle revient d'exil en Inde en 1981 pour prendre les rênes de l'Awami League, le parti fondé par son père, et est soumise à de fréquentes périodes d'assignation à résidence. Elle s'allie alors à Khaleda Zia, devenue responsable du BNP après l'assassinat de son mari, le président bangladais Ziaur Rahman, lors d'un autre coup d'Etat militaire en 1981.
Unies contre la dictature militaire de Hossain Mohammad Ershad, les deux femmes et leurs partis entrent dans une féroce rivalité au retour de la démocratie en 1991, année où Khaleda Zia est élue. Sheikh Hasina lui succède pour un premier mandat à la tête du pays en 1996, mais doit à nouveau s'incliner face à elle en 2001.
«Disparitions forcées»
Les rivales sont finalement toutes deux emprisonnées pour «corruption» en 2007, lors d'un nouveau coup de force orchestré par l'armée. Elles bénéficient d'un non-lieu et l'année suivante Sheikh Hasina remporte largement les législatives. En 2018, Khaleda Zia est condamnée à 17 ans de prison pour corruption.
Cinq hauts dirigeants islamistes et une personnalité de l'opposition ont par ailleurs été exécutés au cours de la dernière décennie après avoir été condamnés pour des crimes contre l'humanité commis pendant la brutale guerre de libération du pays en 1971.
Loin de panser les plaies de ce conflit, ces procès ont déclenché des affrontements meurtriers, ses opposants les qualifiant de farce visant avant tout à faire taire les dissidents.
En 2021, les Etats-Unis ont imposé des sanctions à une branche d'élite des forces de l'ordre du Bangladesh, le RAB, en raison de violations répétées des droits humains.
L'ONG Human Rights Watch a elle affirmé en novembre avoir des preuves de «disparitions forcées, de torture et d'exécutions extrajudiciaires».
«En 15 ans, j'ai construit ce pays», déclarait le mois dernier Sheikh Hasina à des journalistes. «Que n'ai-je pas fait pour ces gens?», avait-elle ajouté.