LibanSix mois après l'explosion où en est l'aide internationale?
ATS
5.2.2021 - 08:04
Six mois après l'explosion dévastatrice du 4 août au port de Beyrouth, les principaux donateurs disent avoir déboursé l'ensemble de l'aide internationale promise à la population sinistrée.
Mais des ONG locales affirment avoir quasiment rien reçu, ou avoir perdu une partie de la valeur des fonds à cause d'un taux de change bancaire très désavantageux.
Quels montants promis?
Le 9 août 2020, cinq jours après l'explosion qui a fait plus de 200 morts et dévasté des quartiers entiers de Beyrouth, la communauté internationale s'était engagée à fournir une aide d'urgence de 298 millions de dollars (269 millions de francs) lors d'une visio-conférence à l'initiative de la France.
Et le 2 décembre, lors d'une autre conférence, l'ONU, l'Union européenne et la Banque mondiale avaient annoncé une aide sur 18 mois, avec de plus de 400 millions de dollars (361 millions de francs) la première année, dans le cadre d'un plan de réforme, relèvement et reconstruction ("3RF").
Quid des sommes débloquées?
Sur les 298 millions de dollars, 285 millions ont été effectivement déboursés, a indiqué à l'AFP Najat Rochdi, coordinatrice de l'aide humanitaire de l'ONU pour le Liban.
Cette somme comprend 161 millions de dollars versés à travers l'ONU à des ONG notamment, et 124 millions de dollars versés directement entre autres à des ONG sous forme d'aides en nature.
En plus des 285 millions, d'autres aides, bilatérales et «difficiles à tracer» par l'ONU, ont été envoyées au gouvernement, selon elle.
Certains fonds n'ont toutefois toujours pas été versés comme 6 millions de dollars, sur 18 millions promis par l'Agence française de développement, selon son directeur local, Arthur Germond.
Le «3RF» en marche ?
Le mécanisme «3RF» – passerelle entre l'aide humanitaire d'urgence et le redressement à moyen terme – ne s'est pas encore traduit en aide concrète.
Selon M. Germond, seuls 60 millions de dollars (54 millions de francs) ont été jusqu'alors collectés sur les quelque 300 millions de dollars d'un fond fiduciaire lancé fin décembre et destiné à soutenir les populations les plus vulnérables et à financer des ONG et de petites entreprises.
L'impasse politique dans laquelle se trouve le Liban bloque par ailleurs d'autres projets du «3RF», qui sont conditionnés par la mise en oeuvre de réformes.
C'est le cas notamment de la reconstruction du port, explique Najat Rochdi, dont le financement dépendra d'une réforme pour plus de transparence dans les appels d'offres.
Les ONG satisfaites ?
Malgré l'aide déboursée, des ONG affirment n'avoir reçu qu'une petite part de l'argent des donateurs. Nabih Jabr, un responsable de la Croix-Rouge libanaise, note ainsi que les dons privés ont largement dépassé les sommes qui devaient arriver dans le cadre institutionnel. «Plus de 80% de la réponse apportée par la Croix-Rouge à l'explosion (...) a été financée par des particuliers et des entreprises», a-t-il indiqué.
Faute d'aides substantielles, l'ONG Beit el Baraka a elle dû lever 3,2 millions de dollars auprès de la diaspora, indique sa directrice Maya Ibrahimchah.
Et dans le cas où l'aide arrive, les ONG doivent notamment batailler avec des banques qui plafonnent les retraits et appliquent leur propre taux de change, perdant parfois plus de la moitié de la valeur des dons qui leur sont destinés.
Après une dévaluation historique, un dollar s'échange aujourd'hui à presque 9000 livres sur le marché noir, contre un taux bancaire de 3900 livres et un taux officiel inchangé à 1507 livres.
«Certains montants ont dû être convertis en livres au taux bancaire», confirme à l'AFP Virginie Lefèvre, de l'ONG Amel, soit 55% de moins que sur le marché noir. «Des négociations ont été menées pour obtenir un taux de change 'humanitaire' mais elles n'ont pas été concluantes», regrette-t-elle.
Le patrimoine, parent pauvre?
Dans le domaine culturel et patrimonial, les acteurs locaux déplorent un manque de fonds.
Beirut Heritage Initiative (BHI), une alliance d'ONG, dit avoir reçu moins de 250'000 dollars via des bailleurs institutionnels alors que les besoins dans ce secteur sont estimés à 300 millions de dollars.
Or sans montants conséquents, «aucune reconstruction du patrimoine libanais ne sera possible», déplore Fadlo Dagher, l'un des fondateurs de BHI.
En août, la Banque mondiale avait estimé l'ensemble des dégâts et pertes économiques dus à l'explosion entre 6,7 et 8,1 milliards de dollars (entre 6 et 7,3 milliards de francs).