"C'était irréel"Un an après, une ville italienne dans la mire du virus se souvient
ATS
20.2.2021 - 10:50
Lorsqu'on pénètre dans le cimetière de Codogno à travers son imposante entrée en forme de temple romain, les ravages du coronavirus ne sautent pas immédiatement aux yeux. Cette ville italienne a vu en deux mois, au début 2020, autant de morts qu'en un an.
Mais derrière les dizaines d'anges en marbre agenouillés et les monuments funéraires en pierre ouvragée, une succession de nouveaux caveaux plus discrets en granit témoignent du carnage que le Covid-19 a infligé à cette petite ville de 15'000 habitants du nord de l'Italie.
Lors d'une cérémonie dimanche, Codogno marquera l'anniversaire du premier cas de nouveau coronavirus enregistré dans la péninsule, premier pays européen touché par la pandémie.
Le virus s'était alors répandu comme une traînée de poudre en Lombardie, poumon économique du pays qui devint pour un temps l'épicentre de la pandémie mondiale qui a fait jusqu'ici plus de deux millions de morts, dont presque 100'000 en Italie.
23, 24 février... 5, 10, 13, 17 mars... Les dates de décès gravées sur les tombes en dessous des noms témoignent de la progression du virus. «C'était irréel. En deux mois, nous avons subi l'équivalent d'une année entière» de décès, témoigne Roberto Codazzi, 58 ans, l'un des gardiens du cimetière.
Avec son collègue, il était aux premières loges quand le virus a débarqué à partir du vendredi 21 février et un homme de 38 ans connu comme le «patient n°1» a été testé positif. Le samedi, des cercueils étaient déjà alignés devant le cimetière pour être enterrés.
«Qui sera le prochain?»
Aujourd'hui à Codogno, les conversations sur le virus portent avant tout sur la fermeture des commerces, le loyer à payer ou l'énième restriction imposée par le gouvernement pour endiguer les contagions.
Mais lorsque la sirène d'une ambulance retentit, les tragiques souvenirs refont surface. Emy Cavalli, la propriétaire du Bar Central sur la place principale, se rappelle ainsi les premiers jours de quarantaine imposés à Codogno et dix autres villes du nord après l'identification du premier cas, suivie immédiatement par les deux premiers morts italiens, dont une femme de 77 ans à côté de Codogno.
«Je me souviens du silence (...) interrompu toutes les trois minutes par la sirène d'une ambulance. On se demandait: Qui est-ce? Qui sera le prochain?»
Codogno a enregistré 154 morts en mars 2020, contre 49 un an plus tôt, rappelle le maire Francesco Passerini. Les employés du cimetière «n'arrivaient pas à suivre», confie-t-il à l'AFP.
Face à cet afflux, les cercueils attendant d'être inhumés ont été stockés dans une église, le cimetière a été fermé au public et les avis de décès publiés sans date d'enterrement pour dissuader les habitants de violer la quarantaine pour rendre hommage aux défunts.
Les arrivages de cercueils ont réservé de mauvaises surprises à Roberto Codazzi: «Je m'exclamais: oh non, je le connais! Je l'ai vu il y a une semaine seulement!»
A l'époque, les équipes de la Croix Rouge sillonnaient la commune pour transporter chaque jour une vingtaine de patients aux urgences. «Quand on nous appelait, on se savait pas ce qu'on allait trouver», raconte à l'AFP le chef des urgences, Luciano Parmigiani.
Jour et nuit
A la même époque, Andrea Lozzi, médecin traitant, travaillait jour et nuit pour soigner ses patients et leur éviter l'hôpital. Peu disert avec les médias, Andrea Lozzi, a dépeint sur sa page Facebook comment sa ville a peu à peu réussi à s'en sortir.
«Quelle satisfaction! Aujourd'hui j'ai enfin pu dire à quatre de mes patients: Ok c'est bon, vous êtes guéri», a-t-il ainsi posté le 11 mars. Un mois après le 1er cas, il a écrit : «Je ne sais pas jusqu'où nous devrons aller, mais nous savons que nous réussirons à nous en sortir!»
Le confinement instauré à Codogno a certainement contribué à améliorer la situation locale. Et l'attention s'est déplacée sur la province de Bergame, à 70 km au nord, où les images de convois militaires transportant des cercueils ont fait le tour du monde.
Alors que le bilan national s'est envolé à 4825 morts un mois après le premier cas à Condogno, certains se sont demandés si le confinement imposé le 8 mars à la Lombardie, puis à toute l'Italie un jour plus tard, n'était pas arrivé trop tard. L'hécatombe dans les maisons de retraite a aussi mis en cause la gestion de la crise par les autorités sanitaires.
Le 25 mars, Mattia Maestri, le «patient n°1» de Codogno, est sorti de l'hôpital, enfin guéri. Et deux mois plus tard le président de la République Sergio Mattarella s'est rendu au cimetière de la ville pour rendre hommage à la ville «où notre voyage de souffrance a commencé».
Dans son bureau à la Croix-Rouge, Luciano Parmigiani feuillette le registre des interventions pour 2020 et montre du doigt l'amorce du recul du virus: «Nous avons réussi à combattre quelque chose que personne ne connaissait».