PékinUne aide à la Russie «en zone grise» mais essentielle
ATS
17.5.2024 - 07:53
La Chine ne livre pas d'armes létales à la Russie pour son attaque en Ukraine, mais n'en est pas moins dans le viseur occidental. Pékin fournit en effet à son allié d'immenses quantités d'équipements à double usage, civil et militaire, essentiels pour l'industrie militaire russe.
Keystone-SDA
17.05.2024, 07:53
ATS
La visite jeudi et vendredi à Pékin du président Vladimir Poutine intervient alors que la Chine est accusée de soutenir massivement son effort de guerre, tout en restant en dessous du seuil de la livraison d'armes.
Au début mai, en présence du président chinois Xi Jinping à Paris, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le chef d'Etat français Emmanuel Macron l'avaient exhorté à faire «plus d'efforts pour limiter la livraison à la Russie d'équipements à double usage, qui se retrouvent sur le champ de bataille» en Ukraine.
Selon Nathaniel Sher, analyste pour l'institut Carnegie, sur la base de données douanières officielles, la Chine exporte chaque mois plus de 300 millions de dollars de produits à double usage «identifiés par les Etats-Unis, le Japon et le Royaume-Uni comme des produits de 'haute priorité' nécessaires à la production russe d'armement».
Cette catégorie liste 50 équipements allant de la micro-électronique aux machines outils, en passant par les engins de télécommunications, radars, optique ou capteurs.
«En 2023, la Chine était responsable de 90% des importations russes de produits figurant sur la liste du G7» de ces produits à «haute priorité» comprenant des «semi-conducteurs, puces, roulements à billes, pièces d'avions de chasse et autres composants», assure le groupe de réflexion américain CSIS.
«Cela a finalement permis au Kremlin d'accélérer sa production d'armements, dont les blindés, l'artillerie, les missiles et les drones, assurant une défense efficace contre la contre-offensive ukrainienne» de l'automne 2023.
En avril, la secrétaire américaine au trésor, Janet Yellen, a dénoncé les exportations chinoises en Russie, un sujet «sur lequel nous travaillons ensemble», a-t-elle déclaré à l'issue d'entretiens à Canton avec son homologue chinois He Lifeng.
Elle avait déjà formulé de telles déclarations à la fin 2023. «Depuis lors, pourtant, Pékin n'a pas fait grand-chose pour prévenir de telles transactions», constate Nathaniel Sher.
Le sommet du pouvoir chinois orchestre-t-il cette tendance ou les entreprises chinoises et les responsables provinciaux chinois le font-ils de leur propre chef?
«C'est un peu des deux, mais le résultat est le même», tranche Marc Julienne, expert de la Chine à l'institut français des relations internationales (IFRI). «Même si la Chine ne fournit pas d'armes, elle alimente tout autant le conflit en maintenant à flot l'économie et l'industrie de défense russes».
Pour Nathaniel Sher, «les liens croissants entre l'Etat-parti chinois et les entreprises privées rendent difficiles d'imaginer un scénario où Pékin n'aurait aucune connaissance anticipée de transactions de produits duals avec la Russie».
L'importance de l'aide chinoise place la Russie dans une position délicate. «Une dépendance aussi excessive» oblige Moscou à maintenir de bonnes relations avec Pékin, estime le CSIS. Mais le Kremlin, engagé dans une guerre de longue durée, n'a pas le choix.
Pékin, pour sa part, marche sur un fil. Son influence sur Moscou sert ses intérêts géostratégiques, mais «c'est un bénéfice qu'il faut nuancer. Il ne faut pas non plus pour Pékin que la Russie soit trop affaiblie» et ne puisse compter que sur la Chine, souligne Marc Julienne.
«Pékin tire aujourd'hui beaucoup plus de bénéfice à rester en dehors du conflit qu'en s'impliquant directement», ajoute-t-il à l'AFP.
Les services ukrainiens récupèrent sur le front les engins russes confisqués, les drones abattus et les restes de missiles pour identifier leurs composants.
A la fin décembre, le Royaume-Uni a annoncé de nouvelles sanctions visant des personnes et entités qui «approvisionnent et financent» la «machine de guerre» russe via des chaînes d'approvisionnement en Biélorussie, en Chine, Serbie, Turquie, aux Emirats arabes unis et en Ouzbékistan».
En janvier, le site Internet du gouvernement ukrainien «War&Sanctions» identifiait des composants provenant de plus de trente pays dans des armes russes.
Le chef d'un laboratoire ukrainien de recherches militaires, Andriï Koultchitsky, avait alors montré à l'AFP un carburateur de drone explosif Shahed, de conception iranienne «Made in Ireland». Ou des objectifs de caméra japonais provenant d'un drone de reconnaissance russe Kartograf.
Sur les cinq premiers fournisseurs de micro-électronique en Russie depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, tous «sont basés en Chine et à Hong Kong, avec une entité basée en Turquie», assure le CSIS.