Tunisie Une femme nommée pour former le gouvernement

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29.9.2021 - 19:50

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Le président tunisien Kais Saied a chargé mercredi Najla Bouden, jusque là inconnue du grand public, de former un nouveau gouvernement. Le président a toutefois considérablement réduit les prérogatives de ce poste après s'être arrogé les pleins pouvoirs en juillet.

La nouvelle ministre du gouvernement Najla Bouden 
La nouvelle ministre du gouvernement Najla Bouden 
KEYSTONE

Complètement inconnue du grand public et scientifique de formation, cette universitaire qui a le même âge – 63 ans – que M. Saied, était en charge de la gestion d'un projet subventionné par la Banque mondiale pour réformer l'enseignement supérieur.

Cette nomination surprise a été annoncée deux mois après le limogeage le 25 juillet du Premier ministre Hichem Mechichi par le chef de l'Etat qui a également gelé le Parlement et pris en main le pouvoir judiciaire. Selon un communiqué de la présidence, M. Saied a chargé Mme Bouden de former un gouvernement «dans les prochaines heures ou jours».

Mais c'est le chef de l'Etat qui sera le réel détenteur du pouvoir exécutif. Il présidera le conseil des ministres, en vertu d'un décret contenant des «mesures exceptionnelles» adopté le 22 septembre.

C'est la première fois dans l'histoire de la Tunisie, pays pionnier dans le monde arabe en matière des droits des femmes, que la tâche de diriger le gouvernement est confiée à une femme. Depuis la présidence de Habib Bourguiba qui leur avait aménagé un code de statut personnel en 1956 interdisant la polygamie et la répudiation et autorisant le divorce, la Tunisie est considérée comme le pays du Maghreb à l'avant-garde pour l'émancipation des femmes.

Doutes

L'Association tunisienne des femmes démocrates s'est réjouie du choix du président, assurant qu'elle lui en avait fait la requête. La militante réputée Bochra Bel Haj Hmida a salué la portée symbolique du geste mais rappelé que M. Saied était «connu» pour des positions négatives sur l'égalité entre les sexes.

Fin 2019, pendant la campagne électorale et une fois élu président, M. Saied s'est opposé à tout projet de loi mettant à égalité les hommes et les femmes dans l'héritage.

La nomination de Mme Bouden «est une chose positive, une reconnaissance de l'importance du rôle des femmes en Tunisie et de leur capacité à réussir dans tous les domaines», a déclaré à l'AFP le politologue Slaheddine Jourchi. Mais Mme Bouden manque d'expérience, a-t-il ajouté en émettant des doutes sur sa capacité «à faire face à tous les énormes dossiers complexes» qui l'attendent.

Très endettée et dépendante des aides internationales, la Tunisie fait face à une profonde crise économique et sociale – chute du PIB, forte inflation, chômage à près de 18% -, aggravée par la pandémie de Covid.

La présidence a publié une vidéo du président recevant Mme Bouden dans son bureau. M. Saied y insiste sur le caractère «historique» de la nomination, qualifiée «d'honneur pour la Tunisie» et d'"hommage à la femme tunisienne».

«Mettre fin au chaos»

Dans la rue, des Tunisiennes ont exprimé leur joie après la désignation d'une femme Premier ministre. Mais «cela ne veut pas dire qu'on va la soutenir quoiqu'il arrive», a souligné à l'AFP l'une d'elles, Yasmine Benhassen, une étudiante de 21 ans. «On fera attention à ce qu'elle va faire.»

Pour Raoua Gorab, une chômeuse d'une trentaine d'années, ce qui compte c'est «qu'elle règle les problèmes du pays, qu'elle améliore la situation sur le marché de l'emploi», parce qu'"après la pandémie, tout a fermé!».

La principale mission du gouvernement sera «de mettre fin à la corruption et au chaos qui s'est répandu dans de nombreuses institutions de l'Etat», a dit M. Saied devant Mme Bouden, docteure en géologie. Celle-ci, originaire de la ville de Kairouan (centre), n'a pas de compétences reconnues en économie. Avant de gérer le projet subventionné par la Banque mondiale, elle avait été directrice générale au ministère de l'Enseignement supérieur.

Ces dernières semaines, M. Saied a fait l'objet de fortes pressions pour avancer dans la mise en place d'un nouvel exécutif. Ses mesures exceptionnelles ont été critiquées par des ONG comme «un accaparement du pouvoir». Mercredi, la chancelière allemande Angela Merkel a jugé «essentiel» un «retour à la démocratie parlementaire» lors d'un entretien téléphonique avec M. Kais.