Menace russe en Géorgie «Vivre ici, c'est comme être assis sur une poudrière»

AFP

29.11.2023

Le soleil inonde le jardin de Lia Tchlatchidzé, à Ergneti, dans le nord de la Géorgie. Mais difficile de profiter de la quiétude des lieux quand vous habitez à quelques mètres d'un territoire séparatiste contrôlé par la Russie.

Les soldats russes restent une menace pour les habitants du nord de la Géorgie (image d’illustration).
Les soldats russes restent une menace pour les habitants du nord de la Géorgie (image d’illustration).
IMAGO/Pond5 Images

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«La menace est permanente. La sécurité est le problème principal des habitants. Les soldats russes pourraient arriver à tout moment et nous arrêter», s'inquiète cette femme de 70 ans. «Vivre ici, c'est comme être assis sur une poudrière.»

Le village de Mme Tchlatchidzé est situé à la ligne de démarcation avec l'Ossétie du Sud, une région séparatiste que la Russie contrôle depuis son invasion en 2008 de la Géorgie, un pays montagneux du Caucase frontalier de son territoire.

«Nous avons peur des Russes. Ils sont trop près», dit à l'AFP Levan Ilouridzé, 58 ans, un agriculteur vivant à Tirdznissi, une localité proche. Ces inquiétudes se sont matérialisées le 6 novembre quand un civil a été tué à une trentaine de kilomètres, à Kirbali, autre village voisin de l'Ossétie du Sud.

Selon Tbilissi, l'armée russe a tué Tamaz Gintouri, 58 ans, alors qu'il tentait, avec d'autres paroissiens, de prier dans une église dont les forces russes avaient déjà, plus tôt dans l'année, interdit l'accès.

Cet incident rare est venu rappeler l'existence de ce conflit gelé entre Tbilissi et la Russie qui contrôle de facto, outre l'Ossétie du Sud, un autre territoire sécessionniste de Géorgie : l'Abkhazie.

La persistance des tensions montre la détermination du Kremlin à maintenir son emprise sur une Géorgie tentée par l'attrait de l'Occident, même si l'armée de Moscou jette l'essentiel de ses forces dans l'invasion de l'Ukraine.

Ces derniers mois, les tensions se sont accrues sur fond de guerre en Ukraine, mais aussi d'un autre conflit dans le Caucase, entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, pays qui a repris par la force le contrôle de la région sécessionniste du Haut Karabakh.

Tbilissi a entamé des démarches auprès de Bruxelles pour devenir candidate à l'adhésion à l'UE, juste après le début de l'invasion russe de l'Ukraine, une démarche vue d'un très mauvais oeil à Moscou.

Rêves de paix

Selon Tbilissi, des centaines de Géorgiens ont été arrêtés aux abords de l'Ossétie du Sud par les forces russes depuis 2008. En 2018, l'un d'eux, un homme de 35 ans, a été torturé à mort dans une prison d'Ossétie du Sud, affirment les autorités géorgiennes.

La Russie a envahi la Géorgie en août 2008 après une attaque meurtrière de l'armée géorgienne contre les forces séparatistes en Ossétie du Sud, qui avaient elles-mêmes bombardé des villages géorgiens.

Après avoir vaincu l'armée géorgienne en cinq jours, faisant des centaines de morts, Moscou a reconnu officiellement l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, qui avaient fait sécession et défendu leurs territoires lors de premiers conflits avec Tbilissi après la fin de l'URSS en 1991.

Depuis, l'armée russe y a déployé des troupes de façon permanente et a installé des clôtures et des barbelés le long de la ligne de séparation entre les territoires sécessionnistes et le reste de la Géorgie.

Ces mesures ont poussé un quart de la population transfrontalière à déménager ailleurs en Géorgie, selon les autorités du pays.

«La démarcation divise des communautés et des familles et les clôtures créent une série de difficultés pour ceux qui vivent de chaque côté», a estimé l'année dernière l'ONG International Crisis Group, spécialisée dans l'observation des conflits.

Selon Lia Tchlatchidzé, l'habitante d'Ergneti, son village est «en train de mourir» car les conditions de vie y sont «difficiles». «Mais je ne peux pas partir», dit-elle. «J'ai l'impression que quelque chose d'horrible arriverait.»

Entrer dans l'UE

En 2014, sa maison, qui a brûlé pendant l'invasion, a été reconstruite et, dans sa cave à vin, elle a créé un musée sur «l'occupation» russe. On y voit des photos de victimes de guerre ou encore un éclat d'obus.

Mme Tchlatchidzé estime que les Ossètes et les Géorgiens auraient fait la paix «depuis longtemps» si les Russes ne s'en étaient pas mêlés. Son mari a été tué dans les années 1990 par des miliciens ossètes.

Beaucoup, dans la région, espèrent qu'une adhésion de la Géorgie à l'Union européenne pourrait ramener la paix. «Si on entre dans l'UE, les Russes partiront de Géorgie. Et sinon, ils envahiront encore», pense Levan Ilouridzé, l'agriculteur du village de Tirdznissi.

Un autre villageois, Robinson Imedachvili, 79 ans, est d'accord: le président russe Vladimir «Poutine n'oserait pas attaquer un pays de l'UE», assure-t-il, affirmant que rejoindre l'Europe est le «rêve» de la Géorgie «depuis des siècles».

Pour Lia Tchlatchidzé, il n'y aurait pas eu de guerre en Ukraine «si le monde s'était élevé contre ce que la Russie a fait en Géorgie». «La guerre n'est pas le problème d'une nation», dit-elle. «Chaque guerre est un problème pour le monde entier.»