LausanneCases et bulles de la BD décodifiées à l'Art Brut
sj, ats
15.9.2022 - 16:32
La Collection de l'Art Brut à Lausanne tente le pari de faire dialoguer l'art brut et la bande dessinée dans sa nouvelle et passionnante exposition. Les points communs entre les deux modes d'expression sont finalement plus nombreux que l'on pourrait imaginer.
sj, ats
15.09.2022, 16:32
15.09.2022, 16:40
ATS
«C'est la première fois à notre connaissance qu'une exposition réunit l'art brut et la bande dessinée dans un musée», affirme Sarah Lombardi, directrice de la Collection de l'Art Brut, lors de la présentation jeudi devant les médias. Jusqu'au 26 février prochain, 270 oeuvres de 32 artistes, dont 75 proviennent des fonds du musée lausannois, sont à découvrir, pour autant de formes revisitées ou éclatées.
Au départ, tout semble opposer art brut et bande dessinée. D'un côté, un art très libre et solitaire ne se souciant pas de plaire aux goûts supposés du public, de l'autre, un art populaire avec un langage codifié, dont les héros sont souvent des icônes d'une culture de masse déclinées sur de multiples supports, résume Erwin Dejasse, commissaire belge de l'exposition, historien de l'art, spécialiste de BD et chercheur à l'Université libre de Bruxelles.
Cohabitation de l'image et de l'écrit
«Dépassant ces antagonismes, j'ai en fait réalisé que l'art brut a une dimension narrative ultra-présente, où l'image et l'écrit cohabitent énormément», explique-t-il. Alors que l'art du 20e siècle s'est largement émancipé du narratif, au profit de recherches formelles ou de démarches conceptuelles, de nombreuses œuvres d'art brut montrent en effet que les images conservent toute leur capacité à produire des récits, selon le commissaire.
«J'ai aussi observé que beaucoup de créateurs d'art brut se sont emparés de l'imagerie et des codes de la bande dessinée, les ont remodelés librement pour les intégrer à leurs imaginaires», dit-il. «BD et art brut partagent une hétérogénéité de signes et de codes, que ce soient des textes, des images, des cadres, des onomatopées, des bulles ou des pictogrammes», souligne-t-il.
«Tous les deux brisent en quelque sorte la frontière instituée entre le visible et le lisible», ajoute M. Dejasse. Au final, le constat est clair pour lui: les traits communs entre ces deux domaines d'expression sont riches et multiples. «L'idée était donc d'explorer les liens entre les deux, de les faire dialoguer entre eux, de jouer sur leurs interconnexions», raconte ce passionné de BD.
Audace narrative et visuelle
C'est donc cette rencontre passionnante entre deux arts plus proches qu'on ne le pensait que propose la Collection de l'Art brut au rez-de-chaussée du musée. Le public est invité à découvrir des artistes et créateurs à l'audace narrative et visuelle foisonnante.
La visite commence avec des oeuvres proches des canons classiques de la bande dessinée pour terminer avec celles qui en sont le plus éloignées. Certaines reprennent donc la structure en cases, mais d'autres les déstructurent complètement.
Loin des cahiers de l'Américain Frank Johnson, dans la tradition des comics des années 1930, l'exposition se termine sur les explosions visuelles du Japonais Yuichi Nishida, dans lesquelles on ne discerne presque plus les codes du manga, déployées sur une seule immense image dessinée en une à deux années.
Poésie, fantasmes et utopies
Entre deux, le regard du visiteur se posera à la fois sur des tableaux uniques avec de multiples scènes, des oeuvres avec une occupation desaxée de l'espace, des textes voltigeant autour d'images fauves, des narrations insolites en arborescence ou superposées, des dessins invitant à des lectures circulaires, vagabondes ou aléatoires. D'autres oeuvres prennent le contrepoint de la BD, fixant l'immobilité et la pétrification du temps.
Toutes ces réalisations proposent une grande diversité de registres et de thématiques: des poésies en images, des récits épiques, des chroniques du quotidien (notamment en asile psychiatrique), des témoignages traumatiques, des visions fantasmées ou encore des univers utopiques.