Daniel de Roulet et Pierre BéguinDeux auteurs éclairent des angles morts de l'histoire suisse
ats
6.10.2023 - 10:01
Les mercenaires suisses, qui se vendaient comme de la chair à canons, et les Suisses qui sont allés combattre du côté des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale: Daniel de Roulet et Pierre Béguin se penchent sur des pans sombres de l'histoire suisse.
Keystone-SDA, ats
06.10.2023, 10:01
06.10.2023, 10:07
ATS
Dans «Le bonnet rouge» (Héros-Limite) sorti cet automne, l'écrivain genevois Daniel de Roulet met à nouveau sa plume au service de la Suisse d'en bas. Après avoir dépeint dans «Les dix petites anarchistes» le sort de femmes qui ont dû quitter St-Imier (BE) pour l'Amérique du Sud, il relate cette fois le destin de mercenaires suisses au service de rois étrangers.
«On a écrit l'histoire des chefs, des officiers, dont on voit les peintures accrochées aux murs des châteaux. J'ai voulu raconter celle de ceux dont on ne voit pas le portrait, qui sont les soldats au service de ces gens-là», a dit Daniel de Roulet, au Livre sur les Quais à Morges début septembre.
Au total, deux millions de Suisses se sont engagés comme mercenaires. «Ces hommes s'enrôlaient par obligation, par pauvreté», a relevé l'écrivain. Un quart d'entre eux ne sont jamais revenus, soit parce qu'ils sont morts au combat, soit parce qu'ils ont réussi à s'installer ailleurs.
Certains régiments ont parcouru le monde. Il arrivait à des mercenaires suisses de combattre les uns contre les autres, selon les rois et pays à qui les propriétaires des régiments avaient loué leur service: les Anglais, les Français, en Europe, en Afrique ou sur le sol des Etats-Unis naissant.
Chair à canons
Daniel de Roulet parle ni plus ni moins de chair à canons. «Ces conditions sont très peu racontées dans l'histoire suisse», a-t-il poursuivi.
L'écrivain se concentre sur la révolte d'un régiment, appartenant au Marquis Lullin de Châteauvieux en 1790 à Nancy. Les hommes se sont rebellés parce qu'on ne les payait pas. «Pas de sous, pas de Suisses», comme on disait à l'époque.
Les soldats ont séquestré leurs officiers. Pour reprendre le pouvoir sur la troupe, les chefs ont massacré près de 300 hommes. Un procès a suivi, condamnant certains des protagonistes au bagne, au supplice de la roue ou à la pendaison.
Quarante-et-un d'entre eux ont été condamnés pour sédition à 30 ans d'emprisonnement et envoyés au bagne de Brest. Mais la Révolution éclate, et les mutins de Nancy deviennent de véritables héros face à l'ennemi royaliste. Un immense cortège les fera défiler de Brest à Paris, dans leur uniforme de bagnards. Et le bonnet rouge qu'ils portent deviendra l'emblème de la Révolution française.
Pour ce roman, Daniel de Roulet a puisé dans son passé familial. «Quand j'étais petit, j'étais invité dans une maison de maître sur les hauteurs de Genève. Je voyais un portrait de Châteauvieux sur les murs, le colonel-propriétaire d'un régiment, qu'il avait acheté», le régiment dont Daniel de Roulet parle dans son livre.
«J'ai été très gêné quand un chercheur dans un colloque universitaire a raconté les horreurs de cette histoire de Châteauvieux», a dit l'auteur. Daniel de Roulet se rendra ensuite aux archives à Paris et au bagne de Brest pour retrouver la trace des hommes embrigadés dans le régiment de son ancêtre.
Il a cherché le nom des 41 Suisses emprisonnés. J'ai découvert leur matricule, leur métier et c'est tout:"j'ai été très étonné de découvrir leur âge, entre 19 et 27 ans. Il m'a fallu reconstruire l'histoire à partir de cela.»
Le seul récit existant était celui de Châteauvieux lui-même, qui évoque les malheurs de Nancy, où il a perdu 300 soldats. Ce qui l'a obligé à vite en racheter d'autres: «c'était un opportuniste, ami de Necker, ce banquier genevois ministre des Finances de Louis XVI.»
Sortir du cercle des assassins
Daniel de Roulet a calqué sa démarche sur celle de l'auteur américain Nathaniel Hawthorne, qui avait écrit «La lettre écarlate» vers 1850 pour réparer le crime de son propre ancêtre, juge dans l'affaire des Sorcières de Salem condamnées au bûcher.
«Pour moi, cette démarche permet de sortir du cercle des assassins, c'est très important parce que cela permet de montrer aussi ce que peut faire la littérature, a relevé Daniel de Roulet. Elle ne peut pas réparer ou restaurer la justice, mais elle doit rendre compte d'une certaine manière d'une autre vision que celle surplombante qu'on a très souvent sur l'histoire de notre pays.»