Dynamique et foisonnante La littérature romande en force à Morges

sj, ats

1.9.2023 - 09:31

La 14e édition du Livre sur les quais (LSQ) débute vendredi à Morges (VD) avec près de 180 invités, dont environ la moitié d'auteurs suisses, surtout romands. Une forte et belle présence à l'image d'une littérature dite «romande» décomplexée, mature, dynamique et foisonnante.

Avec un fort accroissement des maisons d'édition et des auteurs ces deux dernières décennies, la production de Suisse romande est devenue pléthorique et n'a cessé de gagner en visibilité, selon plusieurs acteurs du livre et experts (archives).
Avec un fort accroissement des maisons d'édition et des auteurs ces deux dernières décennies, la production de Suisse romande est devenue pléthorique et n'a cessé de gagner en visibilité, selon plusieurs acteurs du livre et experts (archives).
ATS

Keystone-SDA, sj, ats

Avec un fort accroissement des maisons d'édition et des auteurs ces deux dernières décennies, la production de Suisse romande est devenue pléthorique et n'a cessé de gagner en visibilité, selon des acteurs du livre et experts interrogés par Keystone-ATS. Elle tend de plus en plus à se confondre avec la littérature française.

Dans un article pour la nouvelle édition de l'"Histoire de la littérature en Suisse romande» (2015), l'écrivaine, poète, essayiste et ancienne chargée de cours sur la littérature romande à l'Université de Genève, Sylviane Dupuis brossait déjà le portrait d'une nouvelle génération d'écrivains décomplexée et connectée au monde.

Elle posait la question même de l'existence de cette «littérature romande». «Elle s'écrit ici, se publie ici ou ailleurs par des gens nés ici. Cette cohabitation géographique mise à part, il est cependant difficile d'y déceler des dénominateurs communs», répondait-elle à une interview accordée à l'UNIGE.

Le vivier s'est agrandi

Plusieurs personnes du milieu littéraire en Suisse romande sont aussi d'avis qu'il n'y a pas de «caractéristiques communes romandes». «Ni de texte, ni de style, ni de thématique», estime Fanny Meyer, directrice du LSQ qui se tient jusqu'à dimanche.

«Je n'y crois plus du tout à cette identité précisément romande. L'image un peu vieillotte que l'on avait de la littérature romande d'antan, c'est d'ailleurs fini», soutient aussi Fabienne Althaus Humerose, présidente du prix Le Roman des Romands, dont c'est la 14e édition cette année. «C'est au contraire une littérature de plus en plus dynamique avec une très grande variété», remarque-t-elle.

«On trouve du classique, de l'expérimental, du roman historique, des fictions courtes encore des textes fragmentés», énumère-t-elle. «Ces deux dernières décennies, le nombre d'éditeurs s'est accru avec notamment l'apparition de plusieurs petites maisons d'édition et donc aussi de très nombreux nouveaux auteurs», observe-t-elle.

Cette double croissance est «impressionnante», corrobore Fanny Meyer. «Le biotope, le vivier romand s'est agrandi, il est très dynamique et extrêmement foisonnant». Preuve en est, la moitié environ des 180 invités du LSQ vient de Suisse, selon elle.

Un tournant: le Goncourt pour Chessex

Un avis aussi partagé par Françoise Berclaz, libraire depuis 40 ans à La Liseuse à Sion, qui parle d'un «renouveau foisonnant». «C'est une littérature extrêmement riche et décomplexée. Depuis les années 2000, ça part dans tous les sens. Elle a suffisamment mûri pour se propager et rejoindre la littérature française. Elle peut et doit se revendiquer d'une littérature francophone. Il n'y a plus besoin de parler de littérature romande ou régionale», affirme-t-elle.

Selon elle, le «premier tournant» a été le prix Goncourt attribué en 1973 à Jacques Chessex pour «L'Ogre», récompense «prestigieuse et populaire à la fois». Elle souligne ensuite le rôle majeur du Centre de recherches sur les lettres romandes, devenu entre-temps le Centre des littératures en Suisse romande (CLSR), puis, dans les années 1980 à 2000, la professionnalisation et le travail extraordinaire des maisons d'édition romandes pour leurs auteurs et leurs livres.

«L'arrivée des collections de poche chez plusieurs de ces éditeurs a été une révolution et a contribué à faire gagner cette littérature en visibilité. Cela a aussi créé une émulation entre éditeurs et auteurs», souligne encore Mme Berclaz.

Elle prend désormais aussi plus de place dans les festivals, les salons et autres événements littéraires et culturels, ajoute Mme Meyer. Sans parler d'une meilleure diffusion en France, en y revendiquant sa place.

Mondialisation

Stéphane Pétermann, responsable de recherche au CLSR à l'Université de Lausanne, livre également son analyse sur cette évolution. Il rappelle que des auteurs comme par exemple Ramuz, Roud, Rivaz ou Chessex «font partie du canon littéraire, ils ont été consacrés par les institutions académiques ou culturelles».

«Après eux, on peut sans doute penser à Nicolas Bouvier, à Catherine Safonoff, à Pascale Kramer, à Noëlle Revaz ou Philippe Rahmy. Disons que la littérature dite romande a suivi l'évolution de toute la littérature occidentale, qu'elle se mondialise», explique-t-il.

Elle tend à «l'uniformisation, le conformisme la guette», selon lui. «Mais nombre d'auteurs résistent à cela, volontairement ou non. J'ai le sentiment qu'on vit, ici comme ailleurs, sur l'héritage d'un âge d'or de la littérature (19e-20e siècle), en train de disparaître», poursuit le spécialiste.

«Il y a de tout, on publie beaucoup, et les soutiens financiers sont très généreux, ce qui fausse le marché, à mon avis. Parmi les jeunes noms, ce qui me frappe, c'est la volonté de faire de l'activité d'écrivain un métier comme les autres, tout en affectant une posture d'originalité, de contestation, voire de rupture», conclut-il.