Alpes vaudoisesIl y a 75 ans, le Fort de l'Aiguille à Dailly explosait
zd, ats
27.5.2021 - 15:45
Keystone-SDA, zd, ats
27.05.2021, 15:45
ATS
Le 28 mai 1946, le Fort de l'Aiguille à Dailly (VD), le plus grand du pays, est en feu. Trois dépôts de munitions, réserves de guerre, ont explosé. L'enquête qui s'ensuit pousse l'armée à revoir la sécurité des milliers de tonnes de poudre qui dorment dans ses montagnes. Pas assez vite toutefois pour empêcher le drame du Mitholz (BE), un an et demi plus tard.
Il est 23h38 ce 28 mai 1946 quand une série de violentes déflagrations réveillent en sursaut toute la région de St-Maurice (VS) et Lavey-les-Bains (VD). Caché dans la montagne, à 1400 mètres, le fort de Dailly est en train d'exploser. La terre tremble, le courant électrique est coupé, des pierres pleuvent sur les toits des maisons: en contrebas, dans le village de Morcles (VD), c'est la panique, écrit la presse locale.
Une partie de la centaine d'habitants fuient, les autres sont évacués sur des camions militaires durant la nuit et conduits à St-Maurice. Au stand de tir de Lavey, en plaine, on retrouve une porte blindée de trois tonnes projetée par la déflagration. Les forêts alentour sont saccagées et les débris, dont des obus non éclatés, jonchent le sol.
Aucun militaire ne perd la vie dans l'explosion: les 286 soldats stationnés ont dormi cette nuit-là hors des murs du fort. Une chance pour eux, puisque leur caserne – entièrement détruite – se situe entre deux des trois magasins qui ont explosé. Les dix-huit ouvriers civils qui s'affairent à la construction d'un funiculaire au sein du fort et qui «compensent les heures pour faire le pont de l'Ascension» sont moins chanceux: dix d'entre eux, tous domiciliés dans la région, y laissent leur vie.
Trop de réserves...
Pendant la guerre, la Suisse a stocké des milliers de tonnes de munitions. «Nous avions de quoi faire la guerre mais n’en avions pas l’expérience, analyse le colonel Pascal Bruchez de l'Association Saint-Maurice d'Etudes militaires (ASMEM), et les autres nations ne partageaient pas volontiers leurs connaissances». Avec Dailly, puis Mitholz, l’armée suisse l’apprend à ses dépens.
A Dailly, les trois magasins contiennent environ 16'500 obus avec leurs charges ainsi que de la munition d'infanterie. Dans son rapport final, près de deux ans plus tard, les experts excluent toute influence extérieure (séismes, courts-circuits, négligence ou sabotage). La catastrophe serait due à la combustion spontanée par désagrégation chimique de la poudre de nitrocellulose», détaille la Nouvelle revue de Lausanne en janvier 1948, citant l'armée.
Cette combustion spontanée peut être liée à un problème lors de la production de la poudre, ou due à une perte d'efficacité, au fil du temps, des substances ajoutées pour inhiber son inflammabilité. A cela s'ajouterait un second processus de corrosion chimique sur les amorces des grenades.
... dont il faut se séparer
C'est l'armée qui en parle en 2018 dans un rapport analysant l'explosion en 1947 d'un dépôt souterrain aménagé à Mitholz – abritant 7000 tonnes de munitions – et la dangerosité des quelque 3500 tonnes toujours enfouies dans la roche trois quarts de siècle plus tard. Son assainissement devrait prendre 10 ans, nécessite le départ des 170 habitants pour une même durée, et dépasse le milliard de francs.
Après ces deux catastrophes et 19 morts – 10 à Dailly et 9 à Mitholz – l'armée réagit: elle sépare les types de munitions, construit des magasins plus petits mais mieux protégés, et surtout réduit ses réserves. La Confédération l'autorise à abandonner le matériel produit pendant la guerre dans les lacs du pays comme le Léman, le lac de Neuchâtel ou encore celui des Quatre-Cantons. Un autre problème que doivent encore régler les autorités.
Une troisième explosion a toutefois lieu en 1992 au col du Susten (BE) lorsque 300 à 400 tonnes de munitions périmées ou endommagées, «stockées en vrac», selon l'ASMEM, sautent avant d'être détruites. Six personnes perdent la vie.
Fort reconstruit
Du fort de Dailly, qui fait partie du complexe de fortifications de St-Maurice avec Cindey et Scex (VS), «verrou» ouest du réduit national alpin, «l'armée surveillait toute la plaine du Rhône et pouvait atteindre des cibles entre Sion et Montreux», explique Pascal Bruchez.
Dès 1948, le fort est donc reconstruit, plus sûr et plus adapté à la menace atomique que fait planer la guerre froide. L'armée y installe une puissante artillerie qu'elle teste sur les Dents du Midi pendant des décennies. Aujourd'hui, le réseau souterrain d'une vingtaine de kilomètres, vidé de toute sa poudre, est silencieux. Les militaires ont quitté les lieux en 1995.
La fondation forteresse historique loue les locaux à l'armée pour les montrer au public. «Ce complexe de fortifications devrait être inscrit au patrimoine national», estime Pascal Bruchez qui milite pour obtenir ce statut depuis plusieurs années. «C'est un pan entier de notre histoire».