Interview exclusive Quand les yeux de Laura Chaplin regardent le monde 

Valérie Passello

8.11.2021

«Le regard est le reflet de la pensée»: c'est sur ce thème que Laura Chaplin expose ses peintures au Pavillon Audrey Hepburn de Tolochenaz jusqu'au 20 novembre.  Pour Blue News, la petite-fille de Charlie Chaplin se prête au jeu d'une interview sur le regard. Droit dans les yeux.

Valérie Passello

À travers sa peinture, la petite-fille de Charlie Chaplin tient notamment à rendre hommage à son grand-père, qu'elle n'a pas connu.
À travers sa peinture, la petite-fille de Charlie Chaplin tient notamment à rendre hommage à son grand-père, qu'elle n'a pas connu.
VP

Le thème s'est imposé, peut-être parce qu'après «une période où l'on s'est presque interdit de se regarder», ça lui a manqué, suppose-t-elle... Pour l'artiste peintre Laura Chaplin, le regard, qu'il soit humain ou animal, dépasse la parole. Elle y décèle une histoire, un vécu, une humeur. Rencontre. 

Comment définiriez-vous le regard que vous portez sur le monde?

Je trouve que les gens sont trop pressés. Ils ne prennent plus le temps de regarder les petites choses simples. Notre terre est tellement riche et, surtout dans le lieu où nous vivons, il y a tant de choses magiques à admirer. Il m'arrive de m'arrêter longtemps devant un paysage, simplement parce que c'est beau!

Prendre le temps de respecter la nature, son voisin, un sourire bienveillant, ça fait du bien. Alors que les extrêmes après lesquels nous courons, finalement, ne nous apportent rien.

Qui, dans votre entourage, a le regard qui compte le plus pour vous, quand vous présentez un nouveau tableau?

Je dirais mon chéri, c'est lui qui a le premier regard, même si je ne suis pas toujours d'accord avec lui. Mais c'est ce qu'il y a de beau, c'est très personnel, ça dépend du ressenti de chacun. Et parfois, après quelques temps, il change d'avis (rires). 

Qu’est-ce que vous ressentez quand les gens regardent vos toiles ?

Je suis très timide au début. Quand quelqu'un s'arrête devant un tableau, je suis toute gênée. Puis, une fois que la conversation est engagée, c'est plus facile et ce n'est que du bonheur. Les gens perçoivent parfois des choses que j'ai sans doute voulu transmettre inconsciemment. Ces échanges m'ouvrent de nouvelles perspectives. Il est arrivé que je sois invitée chez des gens qui m'avaient acheté un tableau. À chaque fois, j'ai l'impression qu'il était fait pour cet endroit, c'est fou! Et cela me rassure. 

À travers votre art, vous tenez notamment à rendre hommage à votre grand-père Charlie Chaplin: est-ce que vos frères et sœurs partagent le même regard que vous sur lui ?

C'est très partagé. Certains assument, d'autres préfèrent se distancer de tout ça. Mais je suis la seule de la famille qui le représente dans son art. Ça a toujours été ainsi. Déjà toute petite, j'avais du plaisir à le faire. Et tant d'artistes dans le monde représentent mon grand-père, alors pourquoi n'aurais-je pas le droit de le faire?

Enfant, j'étais dans ma bulle, je savais que mon grand-père était connu à Vevey, mais c'est bien plus tard que j'ai réalisé qu'il était connu partout. Mon père (ndlr: Eugène Chaplin) a toujours été très discret, il ne nous a rien imposé, nous avons pu faire notre propre vie. C'était plutôt à nous d'aller gratter les informations si nous en voulions.

La famille Chaplin fascine, est-ce qu’il est arrivé que le regard curieux et peut-être parfois indiscret des gens vous ait gênée ?

Je suis née comme ça, alors j'ai l'habitude. Parfois, au restaurant, mon chéri remarque les regards de la table d'à côté, alors que moi, je n'ai rien vu! Mais il s'habitue aussi. Ça n'a pas été une souffrance... ce qui peut être difficile, c'est que certains pensent vous connaître sans vous connaître. Cela dit, avec le temps, je trouve que j'arrive de mieux en mieux à poser mon «tampon», à affirmer mon identité. 

À découvrir jusqu'au 20 novembre

Les toiles de Laura Chaplin sont à voir au Pavillon Audrey Hepburn jusqu'au 20 novembre à Tolochenaz. Elle propose des toiles sur trois sujets chers à l'artiste: Charlot, les silhouettes de femmes et les chevaux. Une série de tableaux réalisés en collaboration avec la ferme de Château-d'Oex «Votre Cercle de Vie» complète le tout. L'exposition est ouverte tous les jours de 9h à 12h et de 14h à 19h. Entrée libre, certificat Covid demandé. À l'entrée, deux sculptures de Jimmy, de la galerie «Y'a q'A», de Chavannes-sous-Orsonnens, accueillent les visiteurs. 

Quelle importance accordez-vous au regard des autres ?

Pas beaucoup. Je fais peu d'efforts et si cela ne tenait qu'à moi, je m'en ficherais complètement! Bien sûr que j'aime les gens, mais on me dit souvent que j'ai tendance à «faire ma sauvage», encore plus avec le Covid, d'ailleurs. C'est sûrement une protection par rapport à mon vécu. Pour moi, l'apparence n'est pas le plus important: c'est ce que je dégage qui a de l'importance.

Dans votre exposition, vous présentez des tableaux d'animaux réalisés en collaboration avec la ferme «Votre Cercle de Vie», est-ce que cette rencontre a transformé votre regard sur la nature ?

Leur projet est très intéressant: ils veulent créer une structure où humains et animaux vivront en symbiose avec la nature. Ils m'ont contactée et je suis allée sur place à la rencontre de leurs animaux, que j'ai peints. Un sentier baptisé «La symphonie du terrain» a été créé, avec mes oeuvres le long du parcours. C'était une chouette expérience. Mais cela n'a pas modifié mon regard sur la nature, car je l'avais déjà. Je l'ai toujours eu, ça l'a confirmé.

Vous peignez aussi vos chevaux, que vous montez tous les jours : que voyez-vous dans leur regard?

Beaucoup, beaucoup d'amour. Rien qu'en se regardant, on sait déjà si la journée sera bonne ou mauvaise. On se connaît par coeur, ce sont des membres de ma famille, ma thérapie.

Vous êtes la marraine de la Fondation Moi pour Toit , active auprès d'enfants colombiens défavorisés. À travers ce rôle, vous avez croisé beaucoup de regards d’enfants : qu’est-ce qu’ils vous disent, ces regards-là?

On ne peut  pas imaginer les souffrances que ces enfants ont traversées et pourtant, ils gardent le sourire, la tendresse et tant d'espoir dans le regard. J'en frissonne rien que d'y penser. À chaque fois, c'est tellement d'émotion! Heureusement, la pandémie n'a pas trop affecté l'action de la fondation sur place, mais elle a souffert de ne pas avoir pu organiser d'événements pour récolter des dons.  D'ailleurs, deux soirées de gala sont prévues à Martigny prochainement: les 12 et 20 novembre.