Frédéric Dehais (à droite), professeur de neuro-ergonomie à l'ISAE-SupAéro à Toulouse, équipe un élève ingénieur avant de rentrer dans le simulateur de cabine d'A320, le 26 mars 2018
Frédéric Dehais (à gauche) analyse les réactions de l'élève ingénieur, dans le simulateur de cockpit d'un A320, le 26 mars 2018
A Toulouse, on cherche à limiter le facteur humain dans les catastrophes aériennes
Frédéric Dehais (à droite), professeur de neuro-ergonomie à l'ISAE-SupAéro à Toulouse, équipe un élève ingénieur avant de rentrer dans le simulateur de cabine d'A320, le 26 mars 2018
Frédéric Dehais (à gauche) analyse les réactions de l'élève ingénieur, dans le simulateur de cockpit d'un A320, le 26 mars 2018
Casque sur la tête avec des électrodes partout, le pilote-cobaye prend les commandes du simulateur de la cabine de l'A320. Derrière lui, des enregistrements commencent: toutes les réactions de son cerveau vont être scrutées, analysées pour mieux comprendre le facteur humain dans les catastrophes aériennes.
Depuis 2004, une vingtaine de chercheurs de l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace, ISAE-SupAéro à Toulouse, utilisent la neuroscience pour limiter le rôle du pilote ou de l'équipage dans les accidents aériens, très rares (un accident pour 4 millions de départs) mais où le facteur humain est en cause dans 70% des cas, selon les enquêtes.
Les crashes du Rio-Paris d'Air France, de la Colgan Air à Buffalo (États-Unis), de la Turkish Airlines à Schipol (Pays-Pas) ou encore de la Yemenia dans l'Océan Indien ne sont que quelques exemples de catastrophes marquantes où la responsabilité des pilotes est engagée.
"L'être humain n'est pas très bon en situation d'urgence", constate Frédéric Dehais, professeur de neuro-ergonomie et créateur de ce laboratoire qui collabore désormais avec l'université d'Osaka (Japon) et travaille aussi avec Axa, Air France, Dassault, l'Agence Européenne de l'espace ou encore la NASA.
Dans cette école d'ingénieurs, une grande salle a été dédiée aux recherches pluridisciplinaires. Avec au milieu, un simulateur de cockpit de l'A320. Est également prévu un avion bimoteur.
A chaque fois, un scénario est imaginé. Cette fois, c'est la pluie qui viendra perturber le vol. Après un décollage sans problème, des alarmes retentissent.
L'objectif est d'analyser les réactions de Medhi Victor, élève ingénieur de 20 ans. Il porte de nombreux capteurs, dont un électro-encéphalogramme et un calculant l'oxygénation du cerveau.
"Nous étudions quand son cerveau enregistre les alarmes et quand il ne les enregistre pas", explique M. Dehais, rappelant que si des études ont mis en exergue des problèmes, elles ont aussi démontré que "les pilotes avaient en moyenne une action positive par vol". "Et on ne parle pas des vols où les hommes et les femmes ont sauvé" la situation, souligne-t-il.
- Bricolage du cerveau -
Sur les écrans de contrôle, derrière le simulateur, il apparaît que Medhi ne perçoit pas tout. Parfois il réagit et rectifie le problème. Parfois, il passe à côté.
"Le cerveau bricole, il ne peut pas tout traiter. Il fait des choix. C'est la +tunnelisation+ de l'attention", résume M. Dehais, constatant que les recherches ont par exemple démontré que le "stress" ou même une "concentration maximum" pouvaient occasionner des "surdités" aux alarmes "très rapidement".
Dans ce sens, deux vidéos du laboratoire sont assez étonnantes. La première montre un pilote à Megève tellement obnubilé par la difficulté de la piste où il doit poser son appareil qu'il n'entend rien pendant une minute.
La seconde démontre qu'une discussion passionnée peut avoir des effets dévastateurs. Dans un simulateur, un équipage tellement occupé par la conversation ne s'aperçoit pas des erreurs qu'il commet et reste sourd à... dix alarmes. Et se "crashe" contre une montagne.
Pourquoi de telles absences? Fatigue, problème de capacité d'attention... La liste n'est pas exhaustive. "Les raisons sont diverses". Comme celles des accidents qui pour la plupart ne sont "pas à cause unique", avec "une conjonction d'événements malheureux", selon les enquêtes.
Mais pour pallier les absences de réponses, les chercheurs imaginent deux attitudes: une coupure générale électrique d'une seconde ou un flash rouge d'une milliseconde.
Cela ferait l'effet d'un électrochoc: "Ça permet de récupérer l'attention de l'équipage", affirme M. Dehais, soulignant qu'il faut "une combinaison des sens" avec "du visuel, du tactile et de l’auditif".
Mais le laboratoire réfléchit surtout à élaborer une solution en amont. Il tente de mettre au point un algorithme qui permettrait de savoir si le cerveau du pilote est en capacité d'entendre ou non les alarmes. Dans ce cadre, une start-up, "Hinfact", est en cours de création avec des élèves d'ISAE-SupAéro.
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