PandémieAnnonce d'un vaccin russe: vite et bien, est-ce possible?
Relaxnews
11.8.2020 - 19:15
En annonçant mardi avoir développé le «premier» vaccin contre le Covid-19, baptisé Spoutnik V, la Russie entend se positionner en tête de cette compétition planétaire aux enjeux financiers considérables. Mais gare aux effets d'annonce et aux espoirs déçus.
- Combien de vaccins dans le monde?
Dans son dernier point daté du 31 juillet, l'OMS recense 26 «candidats vaccins» dans le monde évalués dans des essais cliniques sur l'homme (contre 11 à la mi-juin).
La plupart de ces essais en sont encore au stade de «phase 1» (qui vise avant tout à évaluer la sécurité du produit), ou de «phase 2» (où on explore déjà la question de l'efficacité).
Seuls cinq sont au stade le plus avancé de «phase 3», où l'efficacité est mesurée sur des milliers de volontaires: celui développé par l'Allemand BioNTech et l'Américain Pfizer, ceux de la biotech américaine Moderna, des laboratoires chinois Sinopharm et Sinovac, et le projet mené par l'Université d'Oxford en coopération avec le Britannique AstraZeneca.
Le vaccin russe, développé par le Centre de recherches en épidémiologie et microbiologie Nikolaï Gamaleïa, avec le ministère russe de la Défense, est listé en phase 1 dans la base de données de l'OMS.
Pourtant le fonds souverain russe impliqué dans son développement assure que la phase 3 des essais cliniques commencera dès mercredi. Et selon les autorités médicales russes, enseignants et personnels médicaux commenceront à être vaccinés dès le mois d'août, avant une mise en circulation le 1er janvier 2021 dans la population.
- Quelles techniques?
Certaines équipes travaillent sur des vaccins classiques utilisant un virus «tué»: ce sont les vaccins «inactivés».
Il y a également des vaccins dits «sous-unitaires», à base de protéines (des antigènes) qui déclenchent une réponse immunitaire, sans virus.
D'autres vaccins, dits «à vecteur viral», sont plus innovants: on utilise comme support un autre virus qu'on transforme et adapte pour combattre le Covid-19. C'est la technique choisie par les Russes tout comme l'université d'Oxford qui utilise un adénovirus (famille de virus très courants) de chimpanzé.
Enfin, d'autres projets sont basés sur des vaccins «à ADN» ou «à ARN», des produits expérimentaux utilisant des morceaux de matériel génétique modifié.
«Plus il y a de candidats vaccins, et surtout plus il y a de types de candidats vaccins, plus on a de chances d'aboutir à quelque chose», explique à l'AFP Daniel Floret, vice-président de la Commission technique des vaccinations, rattachée à la Haute autorité de santé (HAS) française.
- Quels résultats?
Le ministère de la Santé russe affirme que son vaccin permet «de former une immunité longue», estimant qu'elle pouvait durer «deux ans». Problème: les données sur lesquelles reposent ces affirmations n'ont pas été publiées.
«Cette déclaration est prématurée puisqu'on ne sait pas encore si ce vaccin (ou aucun autre) va protéger contre le Covid-19», ni «quelle sera la durée de l'immunité. En effet, le recul après les premières immunisations chez l'homme n'est que de quelques mois/semaines», a souligné auprès de l'AFP la virologue française Marie-Paule Kieny ancienne directrice générale adjointe à l'OMS.
D'une manière générale, seuls des résultats préliminaires (phases 1 et 2) ont pour le moment été publiés.
Les derniers en date, ceux du candidat vaccin de l'université d'Oxford et celui d'une société chinoise, CanSino, publiés le 20 juillet, ont ainsi montré qu'ils sont bien tolérés par les patients et provoquent «une forte réponse immunitaire».
Mais «on ne sait pas encore si ces niveaux d'immunité peuvent protéger contre l'infection (...) ni si ce vaccin peut protéger les plus fragiles des formes graves de Covid-19», a commenté Jonathan Ball, professeur de virologie moléculaire à l'université de Nottingham (Royaume-Uni).
Par ailleurs, une étude britannique rendue publique mi-juillet suggère que l'immunité basée sur les anticorps pourrait disparaître en seulement quelques mois dans le cas du Covid-19, ce qui risque de compliquer la mise au point d'un vaccin efficace à long terme.
- Toujours plus vite?
Partout dans le monde, les procédures ont été accélérées de façon inédite. C'est particulièrement vrai en Chine, pays qui a vu émerger le virus SARS-CoV-2 et voudrait être le premier pays à disposer d'un vaccin.
Des levées de fonds internationales ont été lancées par les Etats et de grosses fondations. Cela permet aux entreprises de lancer la fabrication industrielle de leur vaccin en même temps qu'elles travaillent à son élaboration, deux étapes d'habitude distinctes.
Les Etats-Unis, faisant cavalier seul, ont mis sur pied l'opération «Warp Speed» («au-delà de la vitesse de la lumière») pour accélérer le développement d'un vaccin destiné en priorité aux 300 millions d'Américains.
Pour cela, le gouvernement américain parie sur plusieurs chevaux et a investi des milliards de dollars dans différents programmes.
Cette course effrénée prend même des allures de roman d'espionnage. Le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada ont accusé les services de renseignement russes d'être derrière des attaques menées par des pirates informatiques pour faire main basse sur des recherches concernant un vaccin. Et aux Etats-Unis, deux Chinois ont été inculpés pour des motifs similaires.
Moscou comme Pékin ont balayé ces accusations.
- Problèmes de sécurité?
Après l'annonce russe, l'OMS a averti que l'homologation d'un vaccin exigeait des procédures «rigoureuses», comprenant l'examen et l'évaluation de toutes les données de sécurité et d'efficacité requises recueillies lors d'essais cliniques.
«Pour autoriser un vaccin contre le Covid-19, il faudra que les essais cliniques apportent un fort niveau de preuve sur sa sécurité, son efficacité et sa qualité», avait déjà prévenu l'Agence européenne du médicament (EMA).
Car aller trop vite dans les essais cliniques «peut poser problème» en termes de sécurité, souligne Daniel Floret.
Selon lui, «l'un des points-clés sera d'apporter la preuve que le vaccin n'est pas susceptible d'entraîner une exacerbation de la maladie» chez les personnes vaccinées, à l'opposé de l'objectif.
C'est arrivé sur des singes «lors de tentatives de développement de vaccins contre le MERS-CoV et le SARS», deux autres coronavirus.
Chez l'homme, ce phénomène d'aggravation de la maladie avait également été observé dans les années 60 avec certains vaccins contre la rougeole, qui ont été retirés, et contre la bronchiolite du nourrisson, qui a été abandonné.
Aussi, l'annonce russe d'un large déploiement de Spoutnik V semble prématurée pour de nombreux scientifiques.
«C'est une décision irresponsable et imprudente. Une vaccination de masse avec un vaccin mal testé n'est pas éthique», a ainsi commenté François Balloux de l'University College de Londres, avertissant que tout problème lors de la campagne de vaccination serait «désastreux» tant par ses effets sur la santé des personnes vaccinés que pour l'adhésion à la vaccination dans le grand public.
- À quand un vaccin?
Avant l'annonce russe, l'EMA estimait «que cela pourrait prendre au moins jusqu'au début 2021 pour qu'un vaccin contre le Covid-19 soit prêt à être approuvé et disponible en quantité suffisante» pour un usage mondial.
Les plus optimistes, à commencer par certaines entreprises pharmaceutiques, assurent que c'est possible dès cet automne. Pas «très réaliste» pour le Pr Floret, qui appelle à «tempérer cet enthousiasme» et «table au mieux sur le premier trimestre 2021».
«Ce sera déjà un sacré prodige», alors que cela prend d'habitude plusieurs années.
Dans le pire des scénarios, il reste possible qu'on n'obtienne jamais de vaccin.