Rarissime En Albanie, à la recherche du phoque disparu

Relax

16.4.2023 - 16:34

(AFP) – Des experts albanais de la faune marine voguent sur les flots azur de la mer Ionienne avant de s'engouffrer dans une grotte dans la falaise. Ils sont à la recherche du phoque moine de Méditerranée, un animal rarissime.

Des experts albanais de la faune marine sont à la recherche du phoque moine de Méditerranée, un animal rarissime.
Des experts albanais de la faune marine sont à la recherche du phoque moine de Méditerranée, un animal rarissime.
ADNAN BECI / AFP

Autrefois abondants, ces phoques moines ne sont plus que quelques centaines, soit l'une des espèces de mammifères marins les plus menacées du monde, victimes de l'utilisation massive de leur habitat par l'homme ou de l'épuisement des stocks de poisson.

Ils sont présents essentiellement en Grèce et en Turquie ainsi que sur les côtes de Cap Blanc, en Mauritanie. Et grâce aux efforts déployés ces dernières années pour créer des aires maritimes protégées, les effectifs remontent lentement.

L'animal au pelage ras, foncé sur le dos et blanc sur le ventre, est classé «en danger d'extinction» sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) après avoir été considéré jusqu'en 2015 comme étant en «danger critique» d'extinction.

En Albanie, «les scientifiques ont repéré une poignée de spécimens grâce à un travail méticuleux pour repérer les grottes et criques sauvages où ces animaux farouches se cachent, en particulier pour mettre bas», explique à l'AFP Nexhip Hysolakoj, expert en biodiversité des aires protégées de Vlora, dans le sud-ouest du pays des Balkans.

Ce faible nombre s'explique par le fait que les scientifiques traquent le «monachus monachus» depuis cinq ans seulement, en plaçant des caméras dans des grottes du littoral Adriatique et Ionien.

«C'est un vrai défi car pour pouvoir capturer les bonnes images, il faut qu'elles soient orientées vers les plages intérieures des cavités où les phoques viennent se reposer», poursuit-il.

- Le «Foka» -

A bord du «Foka», bateau bien nommé puisqu'il signifie «phoque» en albanais, Nexhip Hysolakoj s'enfonce fin mars dans une grotte à moitié submergée.

Devant l'équipe de l'AFP, il place la carte mémoire de la caméra dans son ordinateur, et ne cache pas sa joie.

L'appareil a capturé en janvier les images de deux phoques moines, probablement une femelle et son petit, des images qui s'ajoutent à celles de deux spécimens saisies en 2020, ainsi qu'aux images de touristes assez chanceux pour les voir.

Les chercheurs travaillent dans le parc national marin créé en 2010 autour de la péninsule de Karaburun et de l'île de Sazan, un sanctuaire où la pêche industrielle et commerciale est interdite tout comme le passage de grands bateaux.

Dans la mémoire collective, les phoques étaient jadis nombreux en Albanie. Impossible d'en connaître le nombre car, longtemps, ils ne firent l'objet d'aucun recensement.

En particulier sous la dictature communiste, entre 1944 et 1991, durant laquelle cette région de la Riviera albanaise avait été classée territoire militaire et interdite à tous.

Mais les populations de phoques moines furent victimes comme ailleurs de la chasse, de la surpêche, de la pollution, de maladies, du changement climatique qui appauvrit les stocks de poissons, du trafic maritime, du tourisme.

«Toutes ces menaces ont obligé ce mammifère à changer totalement son comportement biologique», explique à l'AFP Aleksandër Trajce, de l'ONG pour la Protection et la préservation de l'environnement naturel en Albanie (PPNEA).

Alors qu'ils s'ébattaient sur les plages, ils se réfugient désormais dans des grottes marines, dit-il.

- Animal emblématique -

La surveillance des populations est cruciale pour la protection de l'un des derniers grands prédateurs de Méditerranée, «un animal emblématique» de l'écosystème méditerranéen, soulignent les chercheurs français Jordi Salmona et Philippe Gaubert, de l'Institut de recherche pour le développement au laboratoire évolution et diversité biologique de l'Université de Toulouse.

Le phoque moine était déjà représenté sur les parois de Cosquer, grotte préhistorique du le sud de la France, rappellent-ils à l'AFP.

«Seule une surveillance régulière nous permet d'identifier la présence du phoque moine et de définir les sites à protéger», soulignent-ils.

En attendant, les pêcheurs constatent qu'il y a moins de poissons dans les eaux albanaises, un problème pour l'homme mais pas seulement.

«Les phoques se nourrissent principalement de poissons, de calamars et de crustacés», dit à l'AFP le capitaine Baci Dyrmishaj, pêcheur depuis plus de 25 ans à Vlora.

Dans une société où les superstitions sont nombreuses, les pêcheurs du coin en ont inventé une autre pour tenter de protéger le phoque. «Le phoque porte chance à ceux qui le voient», sourit Baci Dyrmishaj. Mais «le déranger ou le chasser porte malheur».