Surprise dans un champ de haricots! Il y a 75 ans, un bombardier américain atterrissait en urgence en Suisse

SDA

17.8.2018

Les anciens d’Utzenstorf se souviennent du 17 août 1943 comme si c’était hier: c’était une chaude journée d’été, les paysans travaillaient dans les champs, une femme ramassait des haricots sur son lopin de terre. Et soudain, il y a eu ce bombardier américain B-17, surgi de nulle part.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il n’était pas rare de voir des avions de combat et des bombardiers survoler la région. Mais ce jour-là, les habitants d’Utzenstorf en sont restés bouche bée: le bruit du moteur n’était pas le même que d’habitude, il avait l’air beaucoup plus proche.

Un bombardier américain B-17 approchait «à une altitude effroyablement basse», comme le raconte l’historienne locale Barbara Kummer-Behrens dans son livre «Utzenstorf im Spiegel alter Fotos und Postkarten» (Utzendorf à travers de vieilles photos et cartes postales).

Un nuage de poussière et des pommes de terre

Durement touché par des tirs dans le ciel allemand, le bombardier «Battle Queen - Peg of my Heart» a dû effectuer un atterrissage d’urgence à proximité du village d’Utzenstorf. Malgré un violent incendie et des raids aériens allemands à répétition, le bombardier américain a réussi à atteindre le lac de Constance avec un réservoir qui fuyait. «La Suisse était juste sous nos pieds et nous n’avions pas d’autre choix que d’atterrir en catastrophe», a noté à l’époque Bill Carter, qui s’occupait de la liaison radio à bord, dans son journal d’une écriture soignée.

«Nous avons atterri au milieu d’un champ de pommes de terre et l’avion s’est arrêté dans un champ de haricots», poursuit Carter. Une femme dans le champ de haricots a vu le bombardier foncer sur elle et s’est cachée sous son grand panier en état de choc. C’est un miracle qu’elle s’en soit sortie indemne. Lorsque le bombardier s’est immobilisé, la femme et son panier de haricots se trouvaient juste en-dessous d’une aile, comme le raconte Rolf Zaugg, un habitant du village qui connaît bien le sujet, à l’agence de presse Keystone-ATS.

Mais la cueilleuse de haricots, n’est pas la seule à avoir eu une grosse frayeur; les dix membres de l’équipage du bombardier n’en menaient pas large non plus. «Lorsque nous nous sommes préparés à l’atterrissage d’urgence, chacun s’est mis à prier, puis nous avons entendu un vacarme assourdissant et l’intérieur du bombardier s’est rempli de poussière et de pommes de terre», rapporte Kummer-Behrens dans son livre, citant l’ancien ingénieur de bord John Scott.

Carter notera dans son journal: «C’était un atterrissage en douceur, compte tenu du fait que nous avons atterri sur le fuselage à plus de 100 miles à l’heure (environ 160 km/h).»

Tout le village a accouru

«En moins d’un quart d’heure, tout le village a accouru», comme en témoigne le journal intime de Carter, dont l’agence de presse Keystone-ATS possède quelques extraits. Finalement, un homme qui parlait anglais est arrivé. «Il nous a dit de venir avec lui dans un hôtel du village. Nous nous sommes entassés dans la remorque et avons suivi tous les villageois.»

Entre-temps, les autorités ont également été alertées. Le commandant de la police de Berne a déclaré: «L’atterrissage réussi a été signalé par téléphone à 14h20 au soussigné par Madame Gygax, gendarme à Utzenstorf.»

Internés à Adelboden

Les officiers de l’équipage ont été hébergés au «Bären», à Utzenstorf, les sous-officiers au «Bahnhöfli». Plus tard, les soldats américains sont venus à Adelboden, où la plupart d’entre eux sont restés internés jusqu’à la fin de la guerre. Seul Carter s’est enfui en France après environ un an. De là, il a rejoint les troupes américaines et a piloté diverses attaques aériennes.

Les Américains étaient très appréciés à Adelboden, car ils avaient un salaire de douze dollars par jour, une somme considérable à l’époque. Même retenus, ils pouvaient se déplacer librement et dépenser leur argent. Ils achetaient des montres ou allaient skier. Un coup de pouce bienvenu à une époque où le tourisme dans l’Oberland bernois était en stand-by à cause de la guerre.

L’enlèvement du bombardier

Le bombardier abattu à Utzenstorf a été confisqué par les autorités suisses et transporté à l’aéroport de Zurich-Kloten pour un contrôle militaire. Plus connu sous le nom de «Forteresse volante», le bombardier B-17 avait notamment à son bord un viseur Norden.

A l’époque, ce viseur à correction gyroscopique était considéré comme le plus précis au monde. L’existence et le fonctionnement de l’appareil ont d’abord été gardés strictement secrets par les Américains. «La deuxième arme secrète après la bombe atomique», comme le rapporte Rolf Zaugg, qui possède un «viseur Norden» dans son musée privé du B-17 à Utzenstorf.

Zaugg a également une anecdote à raconter concernant l’enlèvement du «Battle Queen - Peg of my heart»: pour pouvoir charger l’avion, il a été partiellement démonté. Cela a exigé une grande part d’improvisation de la part des hommes réquisitionnés. En effet, les Américains avaient utilisé des vis cruciformes pour la construction.

Or, en Suisse, il n’y avait que des tournevis plats. Des lames de baïonnettes de l’armée suisse ont été raccourcies à la hâte au diamètre souhaité. Un tournevis cruciforme était né.

La Suisse était «une sorte de porte-avions en territoire ennemi»

Le «Battle Queen - Peg of my heart» est loin d’être le seul avion de combat à s’être écrasé en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Le bombardier B-17 est l’un des 250 avions étrangers qui ont atterri, se sont écrasés ou ont été abattus en Suisse.

Certains avions ont pu rejoindre des aéroports, d’autres, moins chanceux, ont dû effectuer un atterrissage d’urgence ou s’écraser. Au moins 40 hommes ont été tués. Plus de 1600 membres d’équipage ont été retenus en Suisse.

Par ailleurs, il n’était pas rare que l’espace aérien suisse soit violé délibérément ou par erreur, ou dans l’optique d’un atterrissage d’urgence. La Suisse neutre était «une sorte de porte-avions en territoire ennemi», se remémore Rolf Zaugg, spécialiste des atterrissages d’urgence de bombardiers en Suisse.

L’échec de l’opération «Double Strike»

Le 17 août 1943, l’US Air Force lance des raids aériens contre les villes allemandes de Ratisbonne et Schweinfurt dans le cadre de l’opération «Double Strike» (double frappe). 146 avions, parmi lesquels le «Battle Queen - Peg of my heart», se dirigent vers Ratisbonne. En chemin, les bombardiers américains se retrouvent en proie aux raids aériens allemands et aux flammes.

Sur les plus de 300 avions déployés dans le cadre de l’opération «Double Strike», 60 sont portés disparus dans la soirée du 17 août. L’opération a été l’un des échecs les plus cuisants de l’US Air Force avec des pertes importantes. Selon Zaugg, un soldat sur cinq n’est pas revenu vivant des raids aériens américains au début de la guerre.

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