Le conflit en Ukraine va-t-il sonner le glas de l'hélicoptère? L'ampleur des pertes de ces appareils rappelle leur vulnérabilité mais surtout la nécessité ne pas les employer seuls, selon des experts qui pointent les erreurs des forces russes.
Keystone-SDA
27.05.2022, 07:36
ATS
Saturé de défenses anti-aériennes à longue comme à courte portée (Manpads), le ciel ukrainien a tout du piège mortel pour les voilures tournantes, comme l'illustrent les innombrables vidéos mises en ligne sur les réseaux sociaux: depuis le 24 février, les Russes ont perdu au moins 42 hélicoptères, les Ukrainiens sept, selon le blog spécialisé Oryx qui recense les pertes matérielles en Ukraine sur la base de photos ou vidéos recueillies sur le champ de bataille.
Les appareils conçus pour l'appui des blindés et troupes au sol, les hélicoptères d'attaque, pourtant blindés et surarmés, sont particulièrement exposés.
Limites de l'assaut aéroporté
Depuis le début de l'invasion russe, «les défenses aériennes des deux côtés ont eu un effet dissuasif clair sur les opérations d'hélicoptères», estime Sash Tusa, analyste britannique chez Agency Partners.
«Ces rappels désagréables des réalités de la guerre de haute intensité contre des adversaires de presque même force sapent à leur tour les arguments en faveur d'investissements supplémentaires et du maintien des capacités d'assaut aérien occidentales», écrit-il dans une tribune dans le magazine spécialisé Aviation Week.
Autrement dit, l'avenir de l'hélicoptère comme outil d'assaut est selon lui en question, d'autant que nombre de leurs missions peuvent dorénavant être effectuées par des drones bien moins coûteux.
Dès le premier jour de la guerre, l'échec du raid russe contre l'aéroport d'Hostomel, près de Kiev, repoussé par les Ukrainiens, a montré les limites de l'assaut aéroporté.
«Pas obsolètes»
Un «fiasco russe», pas dû aux insuffisances des hélicoptères mais aux conditions dans lesquelles ils ont été employés, selon Joseph Henrotin, chercheur à l'Institut de stratégie comparée (ISC). «Les Russes ont très mal travaillé. Avant une opération aéroportée, il faut s'assurer que le ciel soit nettoyé et les défenses anti-aériennes ennemies supprimées», explique-t-il.
Michael O'Hanlon, expert à la Brookings Institution à Washington, abonde: les hélicoptères «ne sont pas obsolètes, mais attaquer un endroit prévisible où l'ennemi est en alerte ne marche généralement pas», raille-t-il.
L'utilisation des hélicoptères de combat correspond à ce pour quoi les Mi-24, Mi-28 et Ka-52 ont été développés pendant la Guerre froide, de même que leurs pendants occidentaux, l'Apache américain ou le Tigre franco-allemand, pour des affrontements majeurs comme c'est le cas aujourd'hui en Ukraine.
«Ils ont été conçus à une époque où ils auraient pu être engagés au-dessus de l'Allemagne ou de la Pologne, avec une très grosse densité de feu et de menaces pour les hélicoptères», rappelle Joseph Henrotin.
«Canonnière du ciel»
Avant de prédire la fin des hélicoptères, il faut regarder le «concept d'emploi» qu'en ont fait les Russes en Ukraine, conjure Patrick Brethous, conseiller militaire d'Airbus Helicopters.
«On a vu beaucoup d'hélicoptères russes voler de jour, à 100 mètres du sol, se faire descendre. C'est un emploi de l'hélicoptère très dangereux», alors qu'il faut privilégier les opérations de nuit au plus près du sol pour éviter les missiles ennemis, selon cet ancien général responsable du détachement d'hélicoptères des forces spéciales françaises.
Pour Joseph Henrotin également, le conflit constitue un «rappel assez sanglant pour les Russes des fondamentaux: un hélicoptère ne s'emploie pas tout seul» mais doit être coordonné avec l'ensemble des moyens militaires.
Et si certaines de leurs missions, comme de reconnaissance, peuvent dorénavant être menées par des drones, ces derniers sont complémentaires et ne peuvent pas tout faire.
«Pour l'instant, ils n'ont pas la puissance de feu d'un hélicoptère d'attaque», rappelle Joseph Henrotin: un drone turc Bayraktar utilisé par les Ukrainiens peut emporter quatre missiles, quand le Ka-52 avec ses 12 missiles et paniers de roquettes reste une «canonnière du ciel».