Enfant bipolaire La cyclothymie, «c'est la maladie des excès» 

Relax

29.3.2022 - 11:16

Comment élever un enfant bipolaire? Dans son livre «Mon enfant cyclone», Laetitia Payen relate son expérience de mère dont le fils cadet souffre de cyclothymie. Ce trouble se caractérise par de brusques changements d'humeur, il reste encore mal diagnostiqué par les professionnels de santé, particulièrement chez les enfants. À l'occasion de la journée mondiale des troubles bipolaires, qui a lieu le 30 mars, retour sur cette maladie avec Laetita Payen, directrice de l'association Bicycle. 

Dans son livre "Mon enfant cyclone", Laetitia Payen relate son expérience de mère dont le fils cadet souffre de cyclothymie
Dans son livre "Mon enfant cyclone", Laetitia Payen relate son expérience de mère dont le fils cadet souffre de cyclothymie
Courtesy of Flammarion

ETX Studio

«À la maison, Stan nous faisait vivre l'enfer». C'est par ces mots que commence le témoignage de Laetitia Payen, mère de deux enfants dans son livre «Mon enfant cyclone». Son fils cadet, Stanislas, souffre de cyclothymie, un trouble bipolaire encore mal connu chez les enfants. Pour porter cette cause, l'iconographe de profession est devenue présidente de l'association Bicycle, qui aide les familles, dont les enfants et les adolescentes présentent des troubles de l'humeur. Elle se bat pour un diagnostic précoce des troubles du neurodéveloppement. 



Comment se matérialisaient les troubles de Stan avant son diagnostic?  

Ça été très compliqué dès la naissance. C'était un petit garçon qui dormait peu et qui pleurait beaucoup. On a pensé que c'était dû aux soucis de santé qu'il a cumulés sur les deux premières années de sa vie. Après ses deux ans, les troubles du sommeil ont continué. Les gestes de la vie quotidienne sont devenus impossibles. Mettre son manteau, passer à table, l'installer sur le siège auto,... Chez Stan, il y avait une intolérance à la frustration qui entrainait des crises d'une intensité terrible. Elles pouvaient durer plus d'une heure et se répéter plusieurs fois par jour. 

Très rapidement se sont ajoutés des troubles obsessionnels compulsifs. Quand il allait se coucher, les chaussons devaient être parfaitement alignés sur les lames du parquet. À table, il fallait qu'il soit à la même place, que les couverts soient parfaitement alignés à son assiette. 

À tout cela, s'ajoute de l'hypersensibilité qui causait des problèmes à l'école. Il ne supportait pas les bruits importants, ce qui posait des problèmes à la cantine. Ça lui est arrivé de ne pas supporter le parfum de la maitresse par exemple. En vacances, on est allé à une usine de fabrique de bonbons à l'eucalyptus, il a fallu sortir d'urgence.

C'était un petit garçon qui avait tout le temps chaud. La chaleur pouvait lui provoquer des crises, aussi bien en classe qu'à la maison si on faisait un feu de cheminée. 

Comment ont évolué les crises au fil des années? 

Les choses ont dégénéré aux alentours de quatre et cinq ans. J'étais couverte de bleus. À cinq ans, il était capable de casser la porte de sa chambre, de défaire les lattes de son lit et de les jeter dans les escaliers. Quand il faisait ses crises, on devait le contenir pour qu'il ne se fasse pas mal, mais aussi qu'il ne casse pas tout ce qui était autour de lui. Surtout quand on n'était pas chez nous. 

Il y avait deux facettes et pendant les crises, il se transformait physiquement. Il avait les yeux qui commençaient à rouler, et une voix roque, pas la même que celle d'un petit garçon de cinq ans. Dans ces moments-là, on le perdait, ce n'était plus lui. 

Il y avait aussi des insultes, du harcèlement. Il pouvait me dire «maman quand est-ce que tu pleures, car j'aime bien quand tu pleures». Il me disait «c'est ton objet préféré?» avant de le briser contre le mur. Et plein de petites choses. Par exemple, il pouvait me souffler dans les oreilles, faire tout le temps le même bruit pendant 4 heures d'affilé. On était épuisés et il y avait un sentiment d'incompréhension. C'était terrible.

Entre ces crises, Stan pouvait se montrer soudainement très affectueux. Comment vous réagissiez? 

On mettait un certain temps à s'en remettre. Lui pouvait me dire «maman, je t'aime tellement fort que je pourrais monter sur une scène pour le dire à la planète entière». Tout était dans le trop. C'est la maladie des excès. 

Dans votre livre, avant le diagnostic, vous parlez de solitude, aussi bien pour vous, pour votre famille que pour Stan. 

On s'est remis en question, on s'est demandé ce qu'on avait mal fait. Pourtant, on avait l'exemple d'Atsuki, notre première fille avec qui tout allait bien. Mais on n'est pas les seuls à rencontrer des difficultés. L'école n'en peut plus, nos amis n'en peuvent plus, sa sœur n'en peut plus. Elle me disait «Quand Stan est en crise, j'ai l'impression d'être un fantôme». Mon mari m'a dit «j'ai l'impression de perdre des points de vie, c'est comme si j'étais mort à l'intérieur». Il y a un épuisement. On a honte. On vit dans le stress de la prochaine crise. 

Dans votre livre vous racontez «l'enfer» que vous avez vécu.  Quels sont les signes positifs que vous cherchiez dans les moments difficiles? 

À force d'épuisement, on bascule et on arrive à penser que l'on n'a va plus aimer son enfant. C'est le plus difficile. On n'a pas de solutions. Stanislas verbalisait, et ça nous a aidé. Il nous disait ses craintes «à force de faire des crises, vous n'allez plus m'aimer». Un jour, alors que je demandais à sa sœur ce qu'elle voulait faire plus tard, je lui ai également posé la question. «Je ne ferai rien, je me tuerais». Au-delà de notre propre souffrance, c'est ce qui nous a permis d'entendre la sienne. C'est ça qui nous a donné la force de continuer à lutter. 

On note que Stan est diagnostiqué grâce à vos démarches, après de nombreux mauvais diagnostics de la part des professionnels de santé. 

On nous a parlé de trouble du déficit de l'hyperactivité, puis de troubles autistiques, de haut potentiel intellectuel… Mais aucune ne collait entièrement. J'ai passé mes nuits, mes soirées à chercher des solutions, à explorer internet pour trouver une solution. 

La cyclothymie, qui fait partie du spectre du trouble bipolaire de l'enfant, est méconnue par de multiples professionnels de santé. La plupart du temps, il y a un problème de critère de la bipolarité chez l'enfant. Aujourd'hui, le consensus reconnu se base sur les critères de diagnostics de l'adulte avec une bipolarité typique et caricaturale qui s'appelle la BPA. 

Pour la plupart des médecins, pour diagnostiquer un trouble bipolaire chez un enfant, il faut qu'il y ait une crise maniaque «caractérisée». Et ce n'est quasiment jamais retrouvé chez les enfants de moins de quinze ans. Ce sont des symptômes différents chez l'enfant. 

Quelles ont été les étapes de prises en charge après le diagnostic? 

La prise en charge se base sur trois piliers. La thérapie comportementale et cognitive apprend à mieux gérer ses émotions et repérer les éléments déclencheurs des crises. Il y a de la psychoéducation, pour les parents et l'enfant. Cela permet de devenir expert du trouble. L'enfant devient acteur de sa maladie. Il sait adopter une bonne hygiène de vie, faire attention à son sommeil, repérer les éléments déclencheurs... Les parents apprennent et comprennent la maladie. Cela permet de mieux réagir par rapport au comportement de l'enfant et d'aller chercher l'émotion sous-jacente. C'est le socle sur lequel va peser la prise en charge. 

Si nécessaire, il peut y avoir un traitement médicamenteux, à savoir un régulateur de l'humer. Stan a dû en prendre, c'était un prétexte pour être réceptif à la thérapie comportementale et cognitive et à la psychoéducation.   

Officiellement la bipolarité n'existe pas chez l'enfant, il n'y a pas de régulateur de l'humeur pour l'enfant. Comme chez les adultes, on utilise un antiépileptique pour régler ce trouble de l'humeur. Chez les enfants épileptiques, il y a une indication uniquement pour l'épilepsie.  

La bipolarité est encore mal reconnue et diagnostiquée chez les enfants?

Certains médecins sont face à un dogme et ne remette pas leur connaissance à jour. Parmi ces médecins, une grande partie a une obédience psychanalytique. C'est la double peine pour les parents, tout est remis sur l'éducation. Certains médecins trouvent qu'un diagnostic chez l'enfant, c'est l'enfermer et lui coller une étiquette.

Pour nous, avant le diagnostic, on était très enfermé. Le diagnostic a été libérateur. De plus, un diagnostic n'est pas une étiquette, c'est le début d'une solution. Il montre une direction à prendre. L'association Bicycle milite pour que les troubles psychiques soient pris en charge de la même façon que les maladies physiques. C'est-à-dire prévention, diagnostic et prise en charge le plus rapidement possible.  

Le diagnostic différentiel est aussi l'une des raisons. C'est un trouble qui peut être confondu avec d'autres troubles. En tête, tous les troubles  du neurodéveloppement. Je pense notamment au TDH, au trouble autistique, à la dépression, et avec des particularités type sensibilité et haut potentiel. 

Certains veulent soigner les symptômes sans poser de symptômes, dans le cas de la bipolarité, c'est problématique. Si on suit ce raisonnement, on va donner des psychostimulants pour l'hyperactivité ou des antidépresseurs pour la dépression. Ce sont des médicaments qui vont aggraver des troubles.