Médecine Le Nobel va à Svante Pääbo, chasseur de l'ADN préhistorique

AFP

3.10.2022 - 13:32

Le prix Nobel de Médecine a couronné lundi le pionnier de la paléogénomique, le Suédois Svante Pääbo, pour le séquençage complet du génome de l'homme de Néandertal et la fondation de cette discipline qui remonte à l'ADN du fond des âges pour éclairer nos gènes d'aujourd'hui.

«En révélant les différences génétiques qui distinguent tous les humains vivants des homininés disparus, ses découvertes ont donné la base à l'exploration de ce qui fait de nous, humains, des êtres aussi uniques», a salué le jury Nobel.

Grâce au séquençage d'un os retrouvé en Sibérie en 2008, il a également permis de révéler l'existence d'un autre homininé distinct et inconnu jusqu'alors, l'homme de Denisova, qui vivait dans l'actuelle Russie et en Asie.

Agé de 67 ans et installé en Allemagne depuis des décennies – il travaille au prestigieux Institut Max-Planck – Svante Pääbo a découvert en 2009 qu'un transfert de gènes de l'ordre de 2% avait eu lieu entre ces homininés disparus, comme Neandertal, et l'Homo sapiens.

Ce flux ancien de gènes vers l'homme actuel a une pertinence physiologique aujourd'hui, par exemple en affectant la façon dont notre système immunitaire réagit aux infections.

Ses travaux avaient ainsi récemment montré que les malades du Covid-19 portant un segment d'ADN de Neandertal – notamment en Europe, et plus notablement en Asie du Sud – hérité d'un croisement avec le génome humain il y a quelque 60.000 ans, sont plus à risques de complications sévères de la maladie.

La réplique d'un homme de Néandertal se trouve au Musée de Néandertal à Mettmann.
La réplique d'un homme de Néandertal se trouve au Musée de Néandertal à Mettmann.
KEYSTONE

«Les différences génétiques entre Homo Sapiens et nos plus proches parents aujourd'hui éteints étaient inconnues jusqu'à ce qu'elles soient identifiées grâce aux travaux de Pääbo», a salué le comité Nobel dans sa décision.

Le chercheur suédois a su surmonter les difficultés posées par la dégradation de l'ADN dans le temps: après des milliers d'années, seules des traces demeurent, de surcroît largement contaminées par des bactéries ou des traces humaines modernes.

L'homme de Néandertal a cohabité un temps avec l'homme moderne en Europe avant de disparaître totalement il y environ 30.000 ans, supplanté par Sapiens, aux racines africaines.

Pääbo, natif de Stockholm, avait été considéré comme nobélisable depuis longtemps. Mais il avait disparu de la liste des favoris ces dernières années.

«Il habite Leipzig, donc c'était facile de le joindre, il ne dormait pas», a raconté Thomas  Perlmann, le secrétaire du comité Nobel chargé de décerne le prix.

«Il était sans voix, très heureux, il m'a demandé s'il pouvait le dire à sa femme, j'ai dit d'accord. Il était incroyablement content».

Nobel et fils de Nobel

Son prix ouvre une dynastie: son père, Sune Bergström (1916-2004), avait également reçu le Nobel de médecine en 1982 pour des recherches liées aux hormones. Celui-ci est le père naturel de Svante, qui avait expliqué publiquement en 2014 être le fruit d'une aventure extraconjugale, d'où leurs noms différents.

La récompense est dotée de 10 millions de couronnes (environ 920.000 euros). Remporter seul un Nobel scientifique fait figure d'exploit de plus en plus rare – la dernière fois pour la médecine remonte à 2016.

Le millésime Nobel se poursuit à Stockholm mardi avec la physique et mercredi avec la chimie, avant les très attendus prix de littérature jeudi et de la paix vendredi, seule récompense décernée à Oslo. Le plus récent prix d'économie clôt le millésime lundi prochain.

Avec ce 113e Nobel de médecine ou de physiologie, ils sont désormais 226 à s'être vu décerner le prix depuis sa création, dont 12 femmes. Aucune organisation n'a jamais été récompensée, ce qu'interdisent les règles de l'Institut Karolinska qui décerne le prix.

L'an dernier, le prix était allé à deux Américains, David Julius et Ardem Patapoutian, pour leurs découvertes sur le fonctionnement du toucher.

Des chercheurs américains ou basés aux Etats-Unis, de sexe masculin, dominent encore largement les Nobel scientifiques ces dernières décennies, malgré les efforts des jurys pour sacrer davantage de femmes.