«Pointés du doigt» En France, le vague à l'âme des agriculteurs conventionnels

ATS

6.3.2022 - 08:59

Entre l'utilisation à outrance de pesticides ou d'engrais et une transition progressive vers leur usage raisonné, des agriculteurs conventionnels se disent injustement «pointés du doigt» par une société férue d'écologie qu'ils nourrissent pourtant.

Les agriculteurs conventionnels se disent injustement «pointés du doigt» par une société férue d'écologie. (image d'illustration)
Les agriculteurs conventionnels se disent injustement «pointés du doigt» par une société férue d'écologie. (image d'illustration)
KEYSTONE

«Comparé à un citoyen lambda, on fait des efforts tous les jours pour l'environnement», affirme Tristan Jegun qui, à 30 ans, exploite une centaine d'hectares, dont 58 de vignes dédiées au vin et à l'armagnac.

Ce jeune viticulteur du Gers déplore un manque de reconnaissance, alors que la souveraineté alimentaire et l'évolution vers une agriculture plus respectueuse de la nature sont parmi les thèmes de la campagne présidentielle.

À Montaut, dans l'Ariège, Christian Pujol, céréalier de 54 ans, est sur la même longueur d'ondes: «La société ne nous demande que de rendre des comptes, mais ne regarde pas ce qu'on lui apporte». «On a l'impression que c'est à sens unique et ça, ça devient très lourd pour notre profession», regrette cet ancien salarié d'un groupe de semences, qui a repris la ferme familiale en 2005.

Pour ces paysans, ne pas avoir effectué de transition vers le bio ne signifie pas être adepte d'une agriculture intensive et déraisonnée, où les produits chimiques seraient la norme.

Coût financier des pesticides

«Ce n'est pas parce qu'on est en conventionnel qu'on court au champ avec le pulvérisateur», s'agace l'Ariégeois. «Ce n'est pas ce qu'on préfère dans notre métier, donc si on peut l'éviter, on le fait avec plaisir», ajoute celui qui produit principalement du maïs mais diversifie son exploitation.

Tristan Jegun souligne que si ses convictions l'incitent à ne pas surcharger en engrais ses terres, situées à Cravencères, aux confins du Gers et des Landes, l'aspect économique pèse aussi dans la balance.

«Raisonner financièrement amène à réduire au maximum ses intrants car ça coûte très cher. Quand je sors pour passer mes traitements, je sais que je vais dépenser 3000 à 4000 euros dans la journée», explique-t-il en arpentant ses vignes dont la production est vendue à une cave coopérative. A l'année, il débourse environ 40'000 euros en produits phytosanitaires. Alors il tente d'utiliser plus de fumier pour nourrir ses sols et de diminuer les pesticides.

Il privilégie la technique dite de la confusion sexuelle pour réduire la reproduction des insectes nuisibles. «Le résultat est identique au passage d'un produit phytosanitaire, mais avec une démarche plus environnementale», se satisfait-il.

Un objectif important selon ce viticulteur, membre des Jeunes agriculteurs, qui bénéficie de la certification Haute valeur environnementale (HVE): «Je crois plus à ce genre de démarche, plutôt qu'au bio, où on respecte assez bêtement un cahier des charges sans tirer les conséquences de ce qu'on peut faire».

«Numéro d'équilibriste»

En 2020, les cultures bio recouvraient 2,55 millions d'hectares, soit 9,5% de la surface agricole utile française. Un chiffre qui a doublé en cinq ans, selon le ministère de l'Agriculture. Mais, à une dizaine d'années de la retraite, Christian Pujol, adhérent de longue date de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA, majoritaire), n'a pas été tenté par une conversion.

«C'est beaucoup de changements et je préfère m'améliorer dans ce que je fais, plutôt que de changer carrément de cap», explique ce père de trois filles, dont aucune ne reprendra l'exploitation. «On voit que le bio était une niche. Maintenant, la production dépasse le marché, donc ce n'est pas forcément l'avenir», affirme-t-il.

En 2021, les ventes de produits biologiques ont reculé de 3,1% en valeur par rapport à l'année précédente, selon l'institut de recherche et d'innovation (IRI).

Pour lui, le métier change en outre à mesure que la campagne évolue avec l'arrivée d'une population néo-rurale parfois hostile aux exploitants. «C'est un vrai numéro d'équilibriste d'être agriculteur, tant financier que sociétal parce que le rapport avec le monde hors agricole devient de plus en plus compliqué», glisse-t-il.

Il évoque pêle-mêle des problèmes de voisinage, des reproches quant au passage des tracteurs, ou l'opposition à l'installation d'une usine de méthanisation à quelques kilomètres de chez lui. Évoquant des soucis similaires, Tristan Jegun préfère éviter les réseaux sociaux face à «certains lobbys écolos qui ne sont pas ouverts au dialogue».