Monstres «engloutisseurs», vertigineux, par définition invisibles... Enigmes de l'Univers et de la physique, les trous noirs sont traqués de longue date par les scientifiques, qui en quelques années ont réussi l'exploit de les révéler aux yeux du monde.
Première image du trou noir supermassif au centre de notre galaxie, Sagittarius A*, fournie le 12 mai 2022 par l'Observatoire européen austral (ESO)
Les trous noirs, des monstres cosmiques que la science tente d'apprivoiser - Gallery
Première image du trou noir supermassif au centre de notre galaxie, Sagittarius A*, fournie le 12 mai 2022 par l'Observatoire européen austral (ESO)
Les premières «étoiles noires»
Leur existence a été supposée dès la fin du XVIIIe siècle par le Français Pierre Simon de Laplace et le Britannique John Michell, qui imaginent alors des «étoiles noires». Des objets si massifs dans un volume si réduit – comme si on comprimait la Terre dans un dé à coudre -, que la force de gravité empêcherait tout, la matière comme la lumière, de s'en échapper.
L'hypothèse ne refait surface que deux siècles plus tard, avec la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein (1915), qui leur donne un cadre formel. Grâce à elle l'astrophysicien Karl Schwarzschild définit une zone ceinturant le trou noir, appelée «horizon des évènements», où la matière et la lumière sont avalées à jamais.
«Les caractéristiques grossières des trous noirs étaient là», explique à l'AFP Guy Perrin, astronome à l'Observatoire de Paris-PSL.
Espace et temps mêlés
Le modèle s'affine dans les années 1930, quand des physiciens prédisent que quand une étoile massive (plus grosse que le Soleil) arrive en fin de vie, elle explose en supernova. Avant que son coeur s'effondre sur lui même, sous son propre poids.
Le mathématicien Roger Penrose prouve dans les années 1960 que cette "mort» d'étoile peut bien créer un trou noir. Avec son collègue Stephen Hawking, il théorise l'existence d'une «singularité» où la densité et la masse deviennent infinies. Un concept vertigineux où temps et espace se confondent, défiant les lois de la physique.
«Camions-poubelles»
Mais tout cela n'était encore que théorie. Les trous noirs ne sont sortis du bois qu'avec l'observation des quasars, rappelle Guy Perrin: des sources de lumière très distantes et si «incroyablement lumineuses qu'elles devaient être provoquées par un monstre de type trou noir supermassif». Qui en avalant du gaz, émet un intense rayonnement, visible dans le disque de matière le ceinturant.
Ces objets supermassifs se logeraient au centre des galaxies, agissant comme des «camions-poubelles cosmiques», tels des ogres dont l'appétit varie en fonction de l'âge, comme le décrit l'astrophysicien allemand Heino Falcke dans son ouvrage «Lumière dans l'obscurité» (2022).
Et donc pourquoi pas chez nous? Dans les années 1990, l'Allemand Reinhard Genzel et l'Américaine Andrea Ghez (prix Nobel de physique 2020) découvrent l'existence d'un objet compact supermassif au cœur de la Voie lactée, de plusieurs millions de masse solaire, grâce à l'étude des mouvements des étoiles en orbite autour de lui. «Sagittarius A*» était trouvé. Mais il manquait la preuve ultime qu'il s'agissait bien d'un trou noir supermassif.
«La bête» en face
Produire une image de ces géants est en effet une gageure, alors que les preuves sont plus faciles à collecter pour leur «petits frères» de masse stellaire, totalement invisibles mais détectables via des explosions de supernovae ou les ondes gravitationnelles.
Un tournant historique est advenu en avril 2019, avec la première image d'un trou noir supermassif, au centre de l'immense galaxie Messier 87, sous l'aspect d'un rond sombre au milieu d'un halo flamboyant.
Ce qui était jusqu'ici spéculation devint soudain visible. Mais le trou noir M87* est très loin, inhabituellement gigantesque; Sagittarius A*, lui, est «à nous, dans notre galaxie», confie à l'AFP le Pr Falcke. Au bout de cinq ans de travaux, il est sorti de l'ombre ce jeudi, nous laissant enfin voir «la bête de face».
Pour les physiciens, cette double preuve de l'existence des trous noirs supermassifs est un pas de géant. Il va leur permettre de tester la solidité de la relativité générale dans l'environnement «le plus extrême, chaotique et turbulent qui soit», se réjouit le scientifique allemand.
Car pour l'heure, la théorie d'Einstein ne parvient pas à expliquer ce qui se joue dans le trou noir à l'échelle de l'infiniment petit – cette singularité à l'oeuvre. L'étude des trous noir permettra aussi de mieux comprendre l'évolution de Univers, étant donné leur rôle «fondamental dans l'évolution des galaxies», conclut Guy Perrin.