«Vallée de la paix» en IrakCet énorme cimetière accueille les âmes depuis 14 siècles
ATS
1.3.2023 - 08:11
«Oh mon père!», se lamente Jamil, prostré sur la tombe. Larmes et prières sont le quotidien d'un des plus grands cimetières du monde, dernière demeure de millions de défunts musulmans, dans la ville sainte chiite de Najaf en Irak.
01.03.2023, 08:11
ATS
«Je suis triste, bien sûr», admet Jamil Abdelhassan venu de Bagdad pour se recueillir sur la tombe de son père Abdelhassan Qassem, décédé en 2014. «Mais je suis aussi heureux. Je sais que lorsque viendra le jour du Jugement dernier, mon père sera aux côtés de l'imam Ali».
Voilà la raison de tant de ferveur. L'imam Ali, figure fondatrice de l'islam chiite mort en 661, repose dans un mausolée situé près du cimetière de Wadi al-Salam (La vallée de la paix, en arabe), à Najaf, dans le centre de l'Irak.
Ou plus exactement, «depuis que l'imam Ali a été enterré là-bas, les gens ont arrêté d'ensevelir leurs morts dans un autre cimetière de Najaf, celui d'Al-Thawiya, pour les faire reposer à Wadi al-Salam», explique à l'AFP l'historien Hassan Issa al-Hakim.
Pour les chiites, majoritaires en Irak, «être enterré près de l'imam Ali est très important. Ils pensent qu'Ali jouera le rôle d'intercesseur pour ceux qui l'entoureront lors du Jugement dernier», précise-t-il.
9 km2
Certains historiens estiment que plus de six millions d'âmes y reposent, une immense majorité d'Irakiens, mais aussi des Iraniens ou des Pakistanais de confession chiite. «Non, c'est beaucoup plus! Mais c'est impossible à quantifier», lance Hassan Issa al-Hakim. «Pendant les guerres et les crises, il y a davantage de décès. On enterre jusqu'à 200 personnes par jour».
Pour se repérer dans cette nécropole de 9 km2, il n'existe aucun plan. «Le cimetière de Wadi al-Salam est un des plus grands au monde», indique une présentation soumise par l'Irak à l'Unesco pour demander l'inscription au patrimoine mondial. Et de rappeler qu'il est «un des plus anciens» du monde musulman, avec des inhumations «qui se poursuivent encore aujourd'hui, depuis plus de 1400 ans».
L'accumulation de visiteurs venus en voiture provoque parfois des embouteillages sur les avenues qui séparent les carrés, troublant la tranquillité. Mais pas celle d'Ahmed Ali Hamed, 54 ans, venu du sud enterrer sa tante Fatima, décédée «à environ 80 ans». Autour de lui, une vingtaine de personnes endeuillées. Uniquement des hommes, «car les femmes ne viennent pas pour l'enterrement. Elles lavent la défunte et elles rentrent. C'est la tradition», dit-il. «Les femmes viendront, mais un autre jour».
Enveloppée dans un linceul, la défunte est descendue dans une fosse creusée dans la terre ocre. Le fossoyeur tourne le corps vers La Mecque. Un colosse réprime un sanglot, puis il se joint à la récitation de la Fatiha, première sourate du Coran aussi psalmodiée à voix basse comme prière des morts. Et c'en est fini. On se lance des «Agoulak akhouya», «écoute-moi, mon frère», dans le dialecte irakien. On grille de fines cigarettes qui rendent la voix rauque.
«Martyr»
Un peu plus loin, la photo d'un jeune homme souriant en uniforme de l'armée irakienne est surmontée d'une légende. Ici repose «le martyr Ahmed Nasser al-Mamouri. Date du décès: 7 avril 2016», lorsque l'armée irakienne épaulée par une coalition internationale était en pleine guerre pour reprendre au groupe Etat islamique le territoire irakien qu'il occupait.
Car Wadi al-Salam est surtout le reflet des drames qui traversent l'Irak. Comme la guerre entre l'Irak de Saddam Hussein et l'Iran entre 1980 et 1988. Pour preuve: l'inscription sur la tombe en marbre apprend au visiteur qu'un certain Hassan Karim est mort en 1987, en plein conflit, et qu'il est «martyr», titre conféré notamment à ceux tombés pendant les conflits.
C'est aussi dans ce cimetière que repose Abou Mehdi al-Mouhandis, lieutenant irakien du puissant général iranien Qassem Soleimani. Les deux hommes, grands ennemis de Washington, ont été tués dans un raid américain à Bagdad en janvier 2020. Plus récemment, la pandémie de Covid-19 a provoqué une surmortalité et donc un surcroît de travail pour Thamer Moussa Hreina, 43 ans dont 20 comme fossoyeur. «Pendant le coronavirus, on a eu 5000 à 6000 corps en plus sur une année», assure-t-il.
Autour de lui, à perte de vue, des milliers et des milliers de tombes en rangs serrés surmontées de pierres tombales. «Pour creuser la tombe, il faut compter 150'000 dinars (environ 100 francs) et pour la pierre tombale, ça va de 250'000 à 300'000 dinars (de 160 à 200 francs)», explique Najah Marza Hamza, responsable d'une entreprise de pompes funèbres.