Zéro CovidComment les Chinois déjouent la censure du web
AFP
7.5.2022 - 09:53
Extraits de l'hymne national, allusions à des chansons subversives: les Chinois font preuve d'inventivité pour déjouer la censure en ligne et exprimer leur mécontentement face aux restrictions anti-Covid.
07.05.2022, 09:53
AFP
La Chine surveille étroitement internet. Les censeurs effacent les contenus qui présentent la politique de l'Etat sous un mauvais jour ou sont de nature à créer de l'agitation.
Mais la censure doit désormais tourner à plein régime pour défendre l'intouchable stratégie nationale de «zéro Covid», en vertu de laquelle la plupart des 25 millions d'habitants de Shanghai sont confinés depuis début avril.
Exaspérés par les problèmes d'approvisionnement en produits frais, d'accès aux soins médicaux hors-Covid et l'envoi des personnes testées positives en centre de quarantaine, beaucoup déversent leur colère sur internet.
Pour Charlie Smith, co-fondateur du site GreatFire.org qui suit la censure chinoise, le confinement de Shanghai est devenu «un sujet si important qu'il ne peut être totalement censuré». D'autant que les internautes rivalisent d'inventivité pour la déjouer.
Une photo ou une vidéo est effacée? En rogner légèrement les bords ou l'inverser comme dans un miroir suffit souvent à déjouer les logiciels de filtrage automatisés des censeurs qui fonctionnent avec l'intelligence artificielle.
Un commentaire est censuré? Les internautes utilisent allusions ou jeux de mots. À Shanghai, au lieu d'écrire une critique acerbe, certains ont ainsi partagé un mot-dièse qui reprend les premières paroles de l'hymne national: «Debout! Nous ne voulons plus être des esclaves»...
Il a finalement été censuré, mais seulement après que les censeurs eurent compris la manoeuvre.
Les Misérables
Autre tactique: des internautes anti-confinement se sont mobilisés sur le site de critiques de films et livres Douban.com, afin, grâce à leurs votes en ligne, de placer le roman dystopique «1984» en tête du classement.
Objectif atteint... avant là encore que les censeurs interviennent.
Débordés, ces derniers n'ont toutefois pas réussi à empêcher la diffusion virale le mois dernier d'une vidéo intitulée «Voix d'avril», qui compilait en six minutes des histoires de Shanghaïens en situation de détresse face au confinement.
En modifiant très légèrement cette vidéo de six minutes, les internautes sont parvenus à déjouer les logiciels de filtrage, lesquels ne pouvaient dans un premier temps identifier – et donc censurer – que la version originale.
Le combat a duré plusieurs heures avant que les censeurs éradiquent l'ensemble des versions en circulation. Mais des millions de personnes avaient eu le temps de voir la vidéo.
Scandalisés par la censure, nombre d'internautes ont ensuite partagé sur le réseau social WeChat des clips de deux chansons contestataires: «Do You Hear the People Sing?» (de la comédie musicale «Les Misérables") et «Another Brick In The Wall» (du groupe Pink Floyd). La première est un appel à la rébellion. La seconde fustige notamment le «contrôle de la pensée».
«Inébranlable»
Les Shanghaïens sont désormais «prêts à payer le prix» pour diffuser des opinions critiques sur internet, déclare à l'AFP Lüqiu Luwei, une ancienne journaliste qui enseigne à l'Université baptiste de Hong Kong.
«Les difficultés, le mécontentement et la colère» liés au confinement «dépassent largement la crainte d'être sanctionné», estime-t-elle.
Un Chinois de 46 ans, Gao Ming, raconte à l'AFP que la police l'a appelé le mois dernier pour lui demander d'effacer des messages anti-confinement publiés sur Twitter et Facebook -- autant de plateformes pourtant inaccessibles depuis la Chine.
Il a refusé car il se dit «anti-censure» et «totalement contre la politique actuelle», le confinement de Shanghai ayant selon lui causé des morts inutiles, en raison de l'accès très perturbé aux soins médicaux hors-Covid. Les médias publics insistent quasi-exclusivement sur les aspects positifs, tout en ignorant les difficultés personnelles des habitants.
Mais le Parti communiste a réitéré jeudi son soutien «inébranlable» au zéro Covid et appelé à «lutter résolument contre toutes les paroles et actes» qui le remettent en cause.
Un assouplissement est d'autant moins probable que le président chinois lui-même défend cette politique sanitaire, note Yaqiu Wang, responsable Chine à Human Rights Watch, une organisation américaine de défense des droits de l'homme.
«C'est plus difficile pour le gouvernement de reculer lorsqu'il s'agit d'une question idéologique liée personnellement à Xi Jinping.»