Enfants srilankaisAdoptions illégales: St-Gall a fermé les yeux
gf, ats
7.7.2022 - 11:20
Le canton de St-Gall a fait mauvaise figure face aux adoptions illégales d'enfants srilankais en Suisse. Ses autorités ont largement failli dans la surveillance et l'application de la loi entre 1973 et 2002. Les dispositions légales n'ont été respectées pour aucun des 85 enfants concernés, selon un rapport publié jeudi.
Keystone-SDA, gf, ats
07.07.2022, 11:20
07.07.2022, 16:18
ATS
Mandatés par le gouvernement st-gallois, des chercheurs de l'institut d'histoire de l'Université de Berne se sont penchés sur des documents disponibles dans les archives et ont constitué un dossier numérique pour chaque enfant srilankais adopté dans le canton. Leur dépouillement montre que les autorités cantonales et communales de l'époque n'ont pas appliqué les règles en vigueur.
50% des certificats de naissance incohérents
Au total, 40 certificats de naissance présentent des incohérences. Les enfants en question - des bébés de moins de six mois pour la plupart - n'ont pas bénéficié de représentant légal. Le lien nourricier avec les parents d'adoption a été insuffisamment surveillé. Des enfants ont même été confiés à des couples mariés sans clarifier suffisamment les conditions d'accueil au préalable.
A cet égard, la structure de vérification de l'aptitude des futurs parents adoptifs est particulièrement montrée du doigt. Elle a été gérée par des agences d’adoption privées dont la condition même d’existence est le placement d’enfants.
Le rapport se base exclusivement sur des documents des autorités st-galloises et de la fondation Adoptio. Des recherches plus approfondies dans des archives du Sri Lanka seraient importantes, selon les chercheurs qui recommandent aussi de mener des interviews orales avec les personnes concernées et leurs parents biologiques, afin de leur donner voix au chapitre.
Ex-conseiller national mis en cause
Parmi les 85 adoptions prises sous la loupe par les chercheurs, le nom d'un notable revient à plusieurs reprises: celui de l'ancien conseiller national démocrate-chrétien Edgar Oehler. Père de quatre enfants adoptés au Sri Lanka, le St-Gallois est intervenu en 1984 auprès du directeur de l'office fédéral concerné pour assouplir le durcissement des règles, introduit en 1983, pour l'entrée en Suisse des enfants adoptés.
Invoquant le risque que la nouvelle procédure plus formaliste ouvre la porte à des transactions d'argent illégales pour obtenir un enfant à tout prix, il a convaincu la Confédération de revenir à un régime plus souple.
Selon les chercheurs, aucun document srilankais formalisant les procédures d'adoption des quatre enfants d'Edgar Oehler n'a été trouvé. Ces procédures présentent des «manques graves». Apparemment, aucune décision de justice ni aucun certificat de naissance ne les a formellement scellées.
Rapport fédéral effarant en 2020
En décembre 2020, le Conseil fédéral a publié un rapport révélant que les autorités suisses ont fait preuve de manquements entre les années 70 et 90 en n'empêchant pas les adoptions d'enfants srilankais malgré les indices d'irrégularités parfois graves. Il a exprimé ses regrets à cette occasion.
Au total, 881 adoptions d'enfants srilankais ont été accordées en Suisse entre 1973 et 1997. Ces derniers étaient le plus souvent des bébés de quelques semaines ou de jeunes enfants. Ils provenaient de «fermes à bébés», où l'on faisait aussi appel à des hommes blancs pour produire des enfants à la peau la plus claire possible.
Les parents suisses payaient entre 5000 et 15'000 francs pour un enfant. Les mères srilankaises ne recevaient que quelques dollars ou même seulement une bouteille thermos. Les intermédiaires au Sri Lanka, parmi lesquels des avocats, étaient eux grassement payés. Aujourd'hui, des centaines personnes adoptées illégalement en Suisse ne savent toujours pas qui sont leurs parents biologiques.
Approches postcoloniales
Déjà mise en cause par le rapport fédéral, l'intermédiaire suisse pour l'adoption d'enfants du Sri Lanka, Alice Honegger n'échappe pas non plus à la critique dans le rapport des chercheurs concernant le canton de St-Gall. Des sources accessibles pour la première fois montrent que la St-Galloise décédée en 1997 était consciente d'être impliquée dans des adoptions commerciales.
En outre, les médiations qui se sont déroulées sans elle ont aussi été marquées par des manquements. L'étude relève des approches postcoloniales et indique que des visions du monde imprégnées par le colonialisme ont influencé la perception de ces adoptions. Elles ont ainsi contribué à ce que les procédures ne soient pas examinées avec le soin nécessaire.
Le gouvernement st-gallois dit reconnaître la responsabilité du canton pour les manquements du passé. Il entend soutenir la Confédération dans ses efforts de recherches des parents biologiques. Les données contenues dans les documents ayant été systématiquement falsifiées, «nombre d'entre nous se voient refuser le droit de connaître leur propre identité», dénonce Sarah Ineichen, présidente de l'association «Back to the Roots».