«Corona Leaks» Alain Berset dans la tourmente: le scandale de trop?

Andreas Fischer

18.1.2023

Alain Berset est sous pression parce que son ancien porte-parole aurait systématiquement divulgué des informations internes à la presse. Le politologue Oliver Strijbis explique l'importance de cette affaire pour le président de la Confédération et son parti en cette année électorale 2023.

Que savait le conseiller fédéral Alain Berset (à droite) des contacts étroits de son chef de la communication de longue date, Peter Lauener, avec les éditions Ringier ? (archives)
Que savait le conseiller fédéral Alain Berset (à droite) des contacts étroits de son chef de la communication de longue date, Peter Lauener, avec les éditions Ringier ? (archives)
KEYSTONE

Andreas Fischer

Ce n'est pas la première fois que le conseiller fédéral Alain Berset se retrouve empêtré dans une affaire: au cours des deux dernières années, il a surmonté la débâcle de la Lonza, une histoire de chantage et une panne en tant que pilote d'avion privé.

Aujourd'hui, c'est une affaire d'indiscrétions qui fait les gros titres : pendant la pandémie Corona, des informations internes provenant de son département de l'intérieur ont été régulièrement transmises à la maison d'édition Ringier.

Peter Lauener, chef de la communication du ministre de la santé pendant de nombreuses années, et Marc Walder, CEO de la maison d'édition Ringier, qui publie entre autres le «Blick», sont au centre des «Corona Leaks». Ils auraient eu de nombreux échanges pendant la pandémie. Lauener aurait ainsi informé Walder à plusieurs reprises des décisions imminentes du Conseil fédéral durant la crise du Covid. Probablement pour s'assurer une couverture médiatique bienveillante. 

Berset prêt à être auditionné par les parlementaires

Berset prêt à être auditionné par les parlementaires

Le président de la Confédération Alain Berset est prêt à être auditionné par les commissions de gestion du Parlement. Une réponse aux questions des élus est légitime, selon lui. «Lorsqu'une question se pose, il faut la régler dans le cadre des institutions», a affirmé mardi soir M. Berset dans un entretien à Keystone-ATS en marge du Forum économique mondial (WEF). «La haute surveillance du Parlement est extrêmement importante», selon lui Confédération. S'il n'a pas accès au dossier, il affirme qu'il est légitime d'apporter des réponses en cas de questions. «Les commissions de gestion sont le lieu approprié», dit le président. Le Parlement a dit lundi qu'il se pencherait sur les «fuites» révélées ce week-end par la presse au Département de l'intérieur (DFI) lors de la pandémie de coronavirus. Les commissions de gestion décideront la semaine prochaine de la procédure exacte.

18.01.2023

Certes, une affaire n'arrive jamais au bon moment et toutes les personnes impliquées bénéficient de la présomption d'innocence. Mais des gros titres négatifs justement en 2023, année électorale, pourraient mettre Berset en sérieuse difficulté. Le président de la Confédération peut-il résister à la pression ? L'éclairage d'Oliver Strijbis, politologue à l'université de Zurich. 

blue News: Alain Berset fait régulièrement la une des journaux avec des scandales : la débâcle de la Lonza, l'affaire du chantage, la panne du vol privé ...

Oliver Strijbis: Tout d'abord, dans aucun de ces événements, la faute n'a été particulièrement importante ou évidente. Dans l'affaire Lonza, par exemple, la NZZ l'a réhabilité plus tard, et dans l'affaire du vol privé, on n'a pas non plus pu prouver qu'il avait clairement commis une faute. Deuxièmement, et c'est lié, la «Weltwoche» en particulier a mené une campagne extrêmement agressive contre Berset. De nombreuses personnes l'ont sans doute remarqué et se sont solidarisées avec lui. En particulier lorsqu'il s'est agi de l'histoire du chantage.

À propos d'Olivier Strijbis
zVg

Oliver Strijbis est professeur boursier du FNS à l'Institut de sciences politiques de l'Université de Zurich. Ses recherches portent notamment sur les élections et les votations populaires.

Alain Berset est le conseiller fédéral le plus populaire : pourquoi?

Il est apprécié parce qu'il a su se profiler comme gestionnaire de crise et homme d'État pendant la période Covid. Même si les médias ont souvent été très critiques à son égard, il a semblé compétent et, pour une grande partie de la population, sa ligne de conduite n'était ni trop laxiste ni trop prudente. Il suscite aussi nettement moins la polémique que ne l'a fait par exemple Ueli Maurer, ce qui lui a permis de se faire moins d'ennemis.

Dans quelle mesure les «Corona Leaks» nuisent-ils à l'image d'Alain Berset?

Ce n'est certainement pas bon pour son image. Mais si Berset le veut et que rien de nouveau n'est révélé, il peut sans doute se contenter d'étouffer ce scandale. Tout dépendra donc de sa capacité à continuer à exercer sa fonction de manière digne et crédible, et de sa volonté de démissionner ou non. Et cela, seul Berset peut en décider pour lui-même. Mais ce que je peux imaginer, c'est qu'en cas de défaite électorale du PS l'automne prochain, la volonté de révoquer Berset et de ne pas attendre sa démission sera un peu plus grande au Parlement que si ce scandale n'avait pas eu lieu.

Que signifie l'affaire actuelle pour son avenir politique ?

En Suisse, il en faut beaucoup pour qu'un conseiller fédéral démissionne, car on ne peut pas le forcer formellement à démissionner. Ni le Parlement ni les autres conseillers fédéraux ne peuvent le faire. On ne peut pas non plus le menacer d'une élection populaire (recall).

De plus, il n'existe pas en Suisse de culture de la démission. La réticence des présidents des autres partis montre qu'ils ne croient pas que le scandale soit suffisamment important pour qu'ils démissionnent.

Le PS n'a pas non plus intérêt à une démission. En effet, si leur siège au Conseil fédéral est sur le fil du rasoir après les élections de cet automne, ils auront plus de chances de conserver leur siège en réélisant Berset qu'en présentant une nouvelle candidature.

Néanmoins, peut-on encore accepter Alain Berset en tant que membre du Conseil fédéral ? Peut-il encore faire son travail correctement ?

Comme je l'ai dit, je pense que ce scandale n'est pas comparable aux histoires mentionnées ci-dessus. Je ne pense pas qu'il ne puisse pas faire son travail correctement pour autant. La question est de savoir quel est le préjudice subi par son parti et le système politique.

Ses collègues du Conseil fédéral lui font-ils encore confiance ?

Je ne le sais évidemment pas. Mais si j'étais conseiller fédéral, je lui ferais paradoxalement plus confiance que jamais. Car maintenant, il ne peut certainement plus se permettre de commettre des indiscrétions.

À quel point est-il crédible qu'Alain Berset n'était pas au courant des propres liens entre son chef de la communication et l'éditeur de Ringier ?

Il est impensable qu'Alain Berset n'ait pas su que son chef de la communication a travaillé avec des indiscrétions. Mais il ne me semble pas impossible qu'il n'ait pas été pleinement informé de l'ampleur du phénomène. Une manière de se protéger est de conclure un accord pour ne pas tout savoir.

Si Berset ne savait vraiment rien ou pas tout : Qu'est-ce que cela révèle de ses qualités de dirigeant ?

Ce n'est certainement pas parce qu'il n'avait pas la main sur son porte-parole. Ce dernier n'a manifestement pas oeuvré contre lui.

Quelle pourrait être l'influence de cette affaire en cette année électorale ? Nuit-elle seulement à Berset ou à l'ensemble du PS ?

La popularité des conseillers fédéraux n'a pas d'effet fort sur le succès électoral des partis. Le PS ne mise pas non plus habituellement sur la popularité de ses conseillers fédéraux pendant la campagne électorale. Mais un Berset populaire aurait certainement été meilleur pour le PS qu'un Berset impopulaire.

Remarque : Oliver Strijbis a répondu aux questions par écrit.