Hausse des cas de Covid-19Critique de la campagne de l'OFSP: «Les gens veulent être guidés»
Gil Bieler
13.10.2020
Le nombre de cas de COVID-19 connaît une hausse inédite depuis plusieurs mois. Experte en communication, Suzanne Suggs se montre critique envers la campagne de l’Office fédéral de la santé publique, qui ne fonctionne pas selon elle. Elle réclame une approche totalement nouvelle.
Le nombre de cas de coronavirus augmente à un rythme inédit depuis début avril. Les causes de cette situation ne sont pas encore clairement élucidées – les experts évoquent le repli vers les espaces clos dû à la baisse des températures et à l’augmentation des tests, alors que le conseiller fédéral Alain Berset pointe du doigt un sentiment croissant d’insouciance, en particulier dans le cercle familial.
Mais dans le même temps, l’augmentation du nombre de cas montre que la stratégie de communication de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ne fonctionne pas, selon Suzanne Suggs, professeure de marketing social à l’université de Lugano et membre de la Science Task Force en tant que spécialiste de la communication en matière de santé publique.
Les campagnes de l’OFSP visent en premier lieu à informer, souligne-t-elle: «Mais ce n’est pas suffisant pour amener les gens à se comporter d’une certaine manière», indique l’experte en communication à «blue News».
Selon elle, les messages essentiels sont certes constamment répétés et formulés simplement, mais ils sont justement trop simplifiés. «Nous lisons et entendons en permanence "Lavez-vous les mains", "Gardez vos distances". Mais on ne nous explique pas pourquoi il est si important d’adopter ce comportement», déplore Suzanne Suggs. Même si la crise dure depuis des mois, ce travail de sensibilisation doit être poursuivi: «Les gens veulent être guidés.»
Changer de message
Suzanne Suggs souhaite une approche complètement nouvelle: selon elle, il faut faire comprendre à la population quelles libertés elle sera en mesure de conserver. «Si nous restons disciplinés, nous pourrons toujours aller au restaurant, au bar, au bureau ou à l’école. Nous pouvons empêcher un reconfinement. Ce sont autant de choses positives pour lesquelles nous devons nous battre ensemble.»
La Nouvelle-Zélande montre ainsi la voie, illustre-t-elle: la campagne menée dans ce pays se veut fédératrice. Un des slogans est «Unite Against Covid-19» (en français: «Unissons-nous contre le COVID-19»). Un autre peut se traduire par «Restez chez vous, sauvez des vies». «La Suisse aussi devrait mieux souligner que nous faisons tous partie d’une même communauté», estime Suzanne Suggs.
Une «lassitude» face au coronavirus chez les jeunes
L’OFSP défend la campagne de prévention: «La campagne touche la population, mais il y a une "lassitude" qui s’installe face au coronavirus», précise l’institution, interrogée à ce sujet. «Les campagnes peuvent grandement contribuer à sensibiliser la population à un sujet. Mais les changements d’attitude ou de comportement dépendent également de nombreux autres facteurs.»
Le problème ne semble pas non plus venir d’un nombre trop faible d’affiches et de spots publicitaires. Dans un sondage réalisé fin juillet, 89% des participants ont ainsi déclaré avoir vu les campagnes de l’OFSP. En revanche, le taux d’approbation de la proposition «Je peux contribuer à ralentir la propagation du nouveau coronavirus» était bien plus faible – en particulier chez les 18-24 ans. «Cela illustre une certaine lassitude chez les jeunes adultes vis-à-vis de la prévention contre le coronavirus», indique le rapport.
«Mach’s einfach!» («A vous d’agir!») – la bonne intonation?
La campagne actuelle de l’OFSP se concentre donc également sur la tranche d’âge des jeunes. Les affiches et les spots publicitaires abordent notamment la vie nocturne et sont placardés sur les réseaux sociaux ainsi que sur la plateforme de gaming Twitch. Le tutoiement est par ailleurs employé en allemand avec le slogan «Mach’s einfach!» (en français, la campagne s'intitule: «A vous d’agir!») L’idée est bien entendu qu’il suffit d’agir en suivant les règles de conduite.
Pour Suzanne Suggs, bien qu’il s’agisse d’un bon angle d’attaque, la formulation n’est pas optimale. Elle juge le ton condescendant. «Mach’s einfach!», «A vous d’agir!», ressemble selon elle à un ordre donné à un enfant. Il ne faut pas sous-estimer le fait que les jeunes en particulier remettent en question ce genre d’instructions, estime la professeure, qui se réfère à son expérience quotidienne en milieu universitaire. Selon elle, les jeunes doivent être convaincus par des faits scientifiques et des raisons fondées, ce qui manque dans les affiches actuelles.
Une bonne campagne de communication s’adresse individuellement à différents groupes cibles, donne des arguments convaincants et est encore optimisée à travers les retours du groupe cible, explique l’experte. En effet, «un simple slogan ne peut pas changer le comportement des gens».
En vue des mois froids qui s’annoncent, l’OFSP indique que «d’autres sous-campagnes sont en cours d’élaboration. Les symptômes qui se manifestent plus fréquemment pendant les mois froids et humides y sont abordés.»
Pas de conférences de presse supplémentaires prévues
Maintenant que le nombre de cas a atteint un niveau inédit depuis le printemps dernier, on observe une différence frappante dans la communication des autorités: à l’époque, Daniel Koch, l’ancien «Monsieur Coronavirus» de la Confédération, était présent sur toutes les chaînes.
Son successeur, Stefan Kuster, effectue beaucoup moins d’apparitions. Compte tenu de l’évolution récente de la situation, faudrait-il revenir à des conférences de presse plus fréquentes? La réponse de l’OFSP est laconique: «Non.»
Suzanne Suggs y voit une occasion manquée: «Les autorités doivent saisir toutes les opportunités de s’adresser au public. Le problème est trop grave.»