Vendre oui, mais aider aussi Peut-on faire des affaires et bichonner la planète?

Valérie Passello

23.2.2021

Monter un commerce florissant tout en servant une cause écologique, ce n'est pas forcément incompatible. Des amis argoviens et un couple du canton de Neuchâtel en sont convaincus. Chacun a lancé son site de vente en ligne, au service des forêts pour les uns, des océans, pour les autres.

Des T-shirts, des bonnets, des accessoires: quel que soit l'article acheté sur le site de Nikin ou sur celui de Blue in Green, l'internaute aura le sentiment d'aider la planète. Fonctionnant sur des modèles relativement similaires, ces deux sites suisses reposent sur un idéal écologique, très présent dans la société actuelle, à l'heure où la lutte pour le climat se fait de plus en plus pressante. Chez Nikin, pour un article acheté, un arbre est planté. Chez Blue in Green, 10% du total annuel des ventes vont à une ONG au service des océans, soigneusement sélectionnée un an plus tôt.

Séduisante, l'idée est-elle vraiment aussi efficace sur le terrain qu'en termes de marketing? En tout cas, les deux entreprises jouent à fond la carte de la transparence et donnent des nouvelles régulièrement à leur clientèle, fournissant des exemples concrets des réalisations accomplies. 

D'une bière au million d'arbres plantés

Les Argoviens Nicholas Hänny et Robin Gnehm fondent Nikin en 2016. Ces deux amis, alors étudiants en design commercial et industriel, se connaissent depuis l'enfance. L'idée du site émerge autour d'une bière et se concrétise très vite. Si le projet est modeste au début, les deux compères doivent rapidement faire appel à des renforts pour assumer l'explosion des commandes. 

À la fin 2020, le cap du million d'arbres plantés est atteint. Responsable communication, Tanja Isler raconte: «Symboliquement, nous avons alors adopté un arbre de plus de 100 ans chez nous à Lenzburg.» Des débats en plein air ont aussi eu lieu. La pandémie a empêché de rééditer une journée de plantation d'arbres, comme celle organisée en 2019. Une cinquantaine de volontaires s'étaient alors réunis dans une forêt argovienne pour mettre en terre 500 différentes essences. Prochainement, l'événement sera reconduit, mais en ligne, coronavirus oblige.

En 2020, Nikin a effectué des ventes à hauteur de 13 millions et a pu consacrer 600'000 francs à la plantation d'arbres, la proportion reversée approche donc les 5%.

«Reverser 10%, c'est un chiffre de fou!»

Martin Wilhen, cofondateur de Blue in Green

Dans le canton de Neuchâtel, Martin Wilhen et sa compagne Sabine, eux, lancent Blue in Green en 2019. «J'ai toujours été fasciné par le monde marin, c'est une passion qui est sans doute aussi vieille que moi. L'océan est un élément vivant: face à lui, on est en contact direct avec la nature», décrit Martin. En danger en raison de la fonte des glaces, de l'ouverture de nouvelles voies navigables, ou à cause de la problématique du plastique, cet écosystème doit être protégé, même par de petites initiatives, estime le couple.

Démarrant modestement, à l'instar de Nikin, Blue in Green a écoulé pour 20'000 francs de marchandise lors de son premier exercice, lui permettant de reverser 2000 francs à l'ONG Swiss Cetacean Society, une organisation environnementale basée à Lausanne et active dans l'étude et la protection des cétacés. «Bien sûr, ce n'est pas une somme énorme, concède Martin, mais nous avons commencé avec zéro client, alors qu'aujourd'hui, nous enregistrons une à deux commandes par jour.» 

La proportion d'argent redistribuée est importante chez Blue in Green par rapport à d'autres sites, comme Nikin, ou encore comme Beeyond, qui remet 5% de son chiffre d'affaires à des projets de sauvegarde des abeilles. «Reverser 10%, c'est un chiffre de fou! Peut-être que ça semble peu pour certains, mais c'est ambitieux. Nous ne voulions pas faire des dons ridicules. Au final, je me dis que si j'arrive, par exemple, à verser 100'000 francs pour la protection des océans, je serai content», considère Martin Wilhen.

Quel contrôle?

Le consommateur-cible de ces sites, concerné par l'environnement et la nature, souhaite savoir exactement où va son argent et s'il est utilisé à bon escient. «Bien sûr, il y a un moment où l'on est obligé de faire confiance. Mais travailler avec de petites ONG nous permet d'avoir un contact direct. Et il est important pour nous que ces structures soient reconnues», ajoute Martin. 

L'ONG soutenue cette année est Sea Plastics, une association d'étudiants ingénieurs consacrant une année sabbatique à l'étude de la pollution marine et à la sensibilisation du grand public. Le couple à l'origine de Blue in Green en a rencontré les membres lors de vacances en Corse, et le contact s'est ainsi noué.    

De son côté, Nikin travaille avec l'ONG certifiée One Tree Planted (OTP), choisie après un processus de sélection approfondi. Tanja Isler détaille: «Nous sommes en étroite communication avec eux. À deux reprises déjà, nos fondateurs ont visité OTP et planté des arbres avec eux pour avoir une impression directe sur place. Ils ont également visité les pépinières partenaires de l'organisation.» Si la pandémie ne s'était pas invitée dans l'équation, Nicholas et Robin seraient retournés une nouvelle fois sur le terrain. 

Les créateurs de Nikin ont été particulièrement convaincus par le fait qu'OTP travaille avec des partenaires locaux. «Un compte-rendu détaillé est également important pour nous. Après les projets, ils mesurent exactement quels arbres ont été plantés où, créent des rapports et les partagent avec nous. Matt Hill, le fondateur d'OTP, est également un entrepreneur social bien connu et un ancien professeur d'université, que nous considérons comme compétent», poursuit la chargée de communication. Les partenaires sont en contact au moins une fois par semaine. 

Pas n'importe quels produits

Sur les deux sites, les produits mis en vente doivent eux aussi répondre aux valeurs véhiculées par la marque. Les matières, la provenance et les conditions de fabrication ont une grande importance, tant en termes de durabilité que d'écologie et d'éthique. Coton biologique, matières respectueuses de l'environnement, limitation des émissions de CO2 et respect des travailleurs sur la chaîne de production sont autant d'éléments pris en compte, dans la mesure du possible.

Alors que Nikin s'attèle au reboisement de la planète, chaque client reçoit un certificat papier à son nom, indiquant combien d'arbres ont été plantés grâce à ses achats. Mais il serait contre-productif de couper des arbres pour produire ces certificats: ces derniers sont un sous-produit de l'industrie de canne à sucre. L'entreprise, qui compte aujourd'hui plus de vingt collaborateurs, réfléchit à un moyen d'informer encore mieux ses clients, afin que ceux-ci sachent exactement où se trouve «leur» arbre, en fonction de leur numéro de commande. 

«Nous ne cessons de souligner que le «deuxième-main» est aussi une option très durable»

Tanja Isler, responsable communication chez Nikin

Chez Blue in Green, l'activité liée au site est encore un à-côté pour Martin et Sabine. Mais ils espèrent un développement exponentiel. Le premier confinement a été, pour eux, un véritable tremplin, les commandes s'étant emballées «du jour au lendemain» selon le fondateur du site. À plus ou moins long terme, le site pourrait atteindre une masse critique suffisante pour permettre l'ouverture de locaux, voire d'une petite boutique. L'assortiment devrait aussi s'étoffer et, dans le meilleur des cas, d'autres personnes pourraient être engagées dans l'aventure. 

Consommer pour sauver la planète, la démarche peut néanmoins sembler paradoxale. Tanja Isler, de Nikin, répond: «La meilleure chose pour l'environnement serait que personne ne fabrique plus de nouveaux produits. Nous ne cessons de souligner que le «deuxième-main» est aussi une option très durable. Mais si quelqu'un souhaite acheter un nouveau produit, nous sommes convaincus qu'il préfère le faire dans une entreprise durable plutôt que dans un label de mode rapide.»

Ces nouveaux modèles d'entreprises ouvrent peut-être la porte à une manière différente de consommer et de vendre, sans toutefois omettre le nerf de la guerre, aussi important pour les jeunes entrepreneurs que pour les causes qu'ils soutiennent. 

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