Reportage à Porrentruy Garde-bain, un job sous haute tension

Sébastien Fasnacht/AllTheContent

14.8.2020

La piscine de Porrentruy.
La piscine de Porrentruy.
AllTheContent / Journal L'Ajoie / Sébastien Fasnacht 

Jamais la piscine de plein air n’aura fait couler autant d’encre. Critiques, louanges, prises de position à charge ou à décharge: tout le monde a un avis sur la décision du Conseil municipal de Porrentruy d'interdire l'accès de la piscine aux ressortissants français. Mais, au cœur du tumulte, une poignée d’hommes et de femmes, les gardes-bains, continuent malgré tout de remplir leur mission. Reportage.

Elle a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel d’été déjà lourd et chargé d’électricité. Le 29 juillet dernier, en brandissant le spectre du coronavirus, le Conseil municipal bruntrutain prenait la décision d’interdire l’accès de la piscine municipale à toute personne ne résidant pas en Suisse.

Dans le viseur des autorités: une poignée de jeunes délinquants français venus semer le trouble, pour ne pas dire plus, les jours précédents. Depuis, la décision politique, prise en l’absence du maire et d’une partie du Conseil municipal mais de manière collégiale, déchaîne les passions. Comme toujours dans de pareils cas, les réseaux sociaux ont été le théâtre d’un étalage de commentaires, d’avis et d’arguments de toutes les couleurs sur le sujet. Bien évidemment, les médias se sont emparés de l’affaire, lui donnant un retentissement local, national et international. Puis, avec un peu plus de recul, ce fut au tour de la classe politique régionale et nationale de faire son entrée dans l’arène, saluant ou condamnant le fond ou la forme de la mesure avec plus ou moins de véhémence.



Le calme revenu

Une petite semaine après ce raz-de-marée, le soleil tape toujours aussi fort sur la piscine de Porrentruy. Il est 13h30, un vendredi après-midi de vacances scolaires. À l’entrée, sans surprise, un jeune homme plutôt sec en tee-shirt blanc, pantalon cargo et rangers noires vérifie les cartes d’identité ou les abonnements. Dans l’enceinte, tout est paisible. Et pour cause: malgré une température qui dépasse les 30 degrés, ce n’est pas encore l’affluence des grands jours.

Aux abords de la pataugeoire, les plus petits n’ont pas attendu la fin du pique-nique familial pour profiter des jets d’eau et du toboggan rouge. Dans le grand bassin, baigneurs et nageurs se partagent l’espace dans une apparente sérénité. Rien ne laisse penser que, quelques jours plutôt, l’endroit ressemblait à une «véritable poudrière», pour reprendre les mots du maire Gabriel Voirol et du commissaire de la police locale Dominique Vallat.

Un sujet encore sensible

Retour à l’entrée. Tee-shirt rouge floqué du logo de la Municipalité sur les épaules, Thomas Schaller est à une petite trentaine de minutes du début de son tour de garde. La piscine de Porrentruy, l’Ajoulot la connaît bien. Après l’avoir fréquentée comme tout le monde, il y a passé un certain nombre d’heures en tant que maître-nageur durant quelques années avant de prendre la responsabilité temporaire de l’Espace loisirs au début de la saison.

Aujourd’hui, histoire de se conformer aux directives et aux demandes de ses supérieurs, il ne parlera pas de ce qui s’est passé depuis le début de la saison. N’empêche qu’on sent sans même l’évoquer que le sujet est encore sensible. Car, si dans cette histoire beaucoup a été dit sur la piscine, sur les autorités politiques et sur ce qui est supposé être juste ou faux, peu ont pris la peine de se pencher sur le travail quotidien de celles et ceux qui veillent sur les baigneurs, et ce quel que soit le contexte extérieur.

Des exigences élevées

D’entrée de jeu, le stéréotype de l’étudiant bronzé qui somnole sur une chaise au bord du bassin, volontairement utilisé pour le titiller, fait sourire le maître-nageur. «Comme vous pouvez l’imaginer, on est loin, très loin de cette image. Nos gardes-bains, qu’ils soient titulaires ou auxiliaires, ont de lourdes responsabilités à porter, et ce durant toute la saison. Si quelqu’un se noie, c’est nous qui en assumons les conséquences», note Thomas Schaller avant de poursuivre: «Les gens ne s’en rendent pas forcément compte mais être garde-bains n’est pas un job d’été que l’on fait comme ça, sur un coup de tête. Bien savoir nager ne suffit pas pour aller rechercher une personne dans la fosse de 4 mètres. À Porrentruy, on demande à nos maîtres-nageurs d’avoir au minimum un brevet «Plus Pool», voire un brevet «Pro Pool», ce qui représente une exigence relativement élevée.»

Les jours de grande affluence, comme ce fut le cas par exemple le week-end dernier, les gardes-bains sont minimum cinq, voire six, à surveiller les faits et gestes simultanés de plusieurs centaines de personnes. «Ce n’est pas forcément une fatigue physique car nous sommes plutôt statiques, mais devoir être attentif au moindre détail, à l’affût du moindre problème qui pourrait survenir et ceci sous un soleil de plomb et face à la réverbération de l’eau, c’est très, très fatiguant.»

De l’analyse de l’eau à la bobologie

Répartis en différents secteurs plus ou moins calmes et sensibles, à raison d’une demi-heure par poste, les maîtres-nageurs ont, cela va presque de soi, pour mission principale de sécuriser le bassin. «Mais cela ne veut pas dire qu’il faut juste prêter attention aux gens qui se trouvent dans le bassin. Le souci peut venir d’une personne qui ne se douche pas et qui risque l’hydrocution, cela peut être un jeune qui s’apprête à plonger devant un nageur dans une ligne d’eau réservée ou un enfant en bas âge laissé sans surveillance au bord de la piscine», précise Thomas Schaller.

Et pour prévenir et désamorcer les problèmes, les gardes-bains n’ont qu’une seule arme: la parole. «C’est LE grand point de notre travail. Chaque jour, nous devons répéter des centaines de fois les mêmes conseils, les mêmes directives, les mêmes consignes de sécurité. On n’a pas d’autres moyens d’empêcher un problème, c’est comme ça.»

Et à cela s’ajoute, le nettoyage des sanitaires et des pelouses une fois les baigneurs rentrés chez eux, les prélèvements relatifs à la qualité de l’eau, l’installation de la bâche en cas de mauvais temps et tout ce qui touche de près ou de loin à la bobologie, entre autres.

«Vous pouvez le constater par vous-même, c’est un travail complexe mais également très varié et très gratifiant. On est dehors, on travaille avec l’humain. Après, il faut être capable de rester concentré et calme quoi qu’il arrive et réussir à anticiper les choses au maximum. Mais on n’est pas des robots malgré tout, on ne peut pas toujours tout voir et on ne peut pas non plus être partout tout le temps.»

«Ce n’est pas notre rôle de faire régner l’ordre»

Partant de ce constant, il est donc impossible pour les maîtres-nageurs de porter en plus la responsabilité de la sécurité dans les zones voisines du bassin. «Forcément, on jette un coup d’œil. On surveille du coin de l’œil si quelqu’un saute une barrière, on essaie de voir si les gens mettent de la musique, ce qui est interdit, mais ce n’est pas notre rôle de faire régner l’ordre. C’est de la responsabilité du service de sécurité. Nous, on n’est tout simplement pas formés pour ça.»

Jusqu’à la fin de la saison, et si l’on en croit le Conseil municipal, la sécurité aux alentours de la piscine ne devrait de fait plus être un problème. Mais ensuite? «C’est l’un des enseignements à tirer de la situation actuelle, note le maire de la ville Gabriel Voirol. Nous devons aujourd’hui trouver des solutions pour que nous n’ayons plus à nous poser la question de la sécurité des baigneurs à l’avenir. Le Conseil municipal va se pencher sur cette problématique dès la semaine prochaine. Ceci afin que tout le monde puisse profiter de la piscine.»

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