Archives diplomatiques Il y a 30 ans, l'offensive de charme suisse pour les bilatérales

beko, ats

3.1.2024 - 17:44

La publication des archives diplomatiques suisses d'il y a 30 ans concerne cette fois 1993, l'année qui a suivi la votation sur l'EEE. On y découvre l'offensive tous azimuts du Conseil fédéral pour inventer une nouvelle base aux relations Suisse-UE.

L'ex-conseiller fédéral Adolf Ogi, à droite, discute avec la rectrice de l'Université de Berne Virginia Richter, sous le regard du directeur de Dodis Sacha Zala.
L'ex-conseiller fédéral Adolf Ogi, à droite, discute avec la rectrice de l'Université de Berne Virginia Richter, sous le regard du directeur de Dodis Sacha Zala.
ATS

Keystone-SDA, beko, ats

Les projets de mandats de négociations approuvés fin 2023 ont remis sur les rails des relations Suisse-UE dont les discussions en vue de les instituer ont commencé il y a 30 ans. Fin 1993, le Conseil fédéral obtenait de Bruxelles l’ouverture des négociations sur les premières bilatérales sectorielles, après avoir mené une offensive diplomatique sans précédent durant toute l'année.

Suite au choc du non à l’Espace économique européen (EEE) du 6 décembre 1992, l'année 1993 sera pour le gouvernement helvétique une phase difficile de réorientation, analyse le centre de recherche Dodis. Les documents diplomatiques tout juste publiés sur le site www.dodis.ch montrent que l'adhésion à l’UE reste alors l'objectif à long terme.

Berne ne retire donc pas sa demande d’ouverture des négociations d’adhésion du 18 mai 1992. D’autre part, le Conseil fédéral n’exclut pas non plus que la Suisse adhère à l’EEE à une date ultérieure. Mais dans l'immédiat, la priorité est d’amorcer des négociations bilatérales sectorielles.

Les conseillers fédéraux Jean-Pascal Delamuraz et Flavio Cotti feront valoir auprès de Bruxelles «que l’approche bilatérale était insuffisante et provisoire». Mais il importe aussi «que la CE présente à la population suisse une image conciliante d’elle-même en étant prête à conclure des accords bilatéraux sectoriels», révèlent les sources.

Au Schilthorn

Début 1993 déjà, le président de la Confédération Adolf Ogi, présent mercredi devant les médias, s’efforce d’expliquer à ses homologues la position suisse à l'occasion du Forum économique mondial (WEF) de Davos.

«Après le non à l'EEE, nous avons eu un problème. Mais à chaque fois que nous n'arrivions pas à avancer dans les discussions, je proposais de sortir, d'aller à la montagne, par exemple au Schilthorn, d'emporter suffisamment de nourriture et de ne revenir que lorsque nous aurions trouvé une solution», a déclaré le Bernois devant les médias mercredi. Par la suite, à chaque fois que nous avions un nouveau problème, Mme Dreifuss disait: «Schilthorn?»

En avril, le premier ministre britannique John Major est le premier d’un nombre record de dirigeants européens à défiler à Berne. En octobre, c'est au tour d'Helmut Kohl de s'entretenir à huis clos avec le président de la Confédération. Pour le chancelier allemand, en tant qu’Européen convaincu, un engagement de la Suisse sur la voie de l’adhésion serait «un impératif de l’ordre de l’évidence». «La bravade suisse ne sert à rien à long terme», avertit Kohl.

Victoire intermédiaire

Le 9 novembre 1993, le Conseil des ministres des affaires étrangères européens signale que la Communauté est prête à entamer des négociations bilatérales sectorielles avec la Suisse. Le premier objectif intermédiaire du Conseil fédéral est atteint.

Mais la joie n’est pas unanime. Pour les partisans déçus de l’EEE, «le triomphe revient maintenant à la partie adverse», résume un conseiller aux Etats socialiste lors d’un débat en commission: «C’est Blocher qui a dit que la CE négocierait déjà avec nous, et qui a maintenant raison», peut-on lire dans les archives.

Le ministre Cotti relativise aussi ce succès. De «bons avocats, si ce n’est des amis, se sont engagés pour la Suisse» afin que les Etats membres se déclarent prêts à entrer en matière sur les souhaits de négociation de la Suisse.

Le ministre Delamuraz souligne, lui, que les exigences de l’UE concernant la reprise de l’acquis communautaire – «cet institutionnel qui a fait si mal dans la discussion du 6 décembre» – ne sont en aucun cas écartées. Les conséquences institutionnelles pour la Suisse feront l’objet d’âpres négociations, soutient-il.

Ligne dure

En décembre 1993, le président français François Mitterrand est reçu par le président Ogi sur son terrain, dans l’Oberland bernois. Une telle série de visites de haut rang ne s'était encore jamais produite en Suisse.

En fin d'année, Adolf Ogi se rend à Madrid. Il s'agit d'amadouer «le partenaire de négociation le plus dur au sein de l’UE sur la question de l’adoption du mandat pour les négociations bilatérales», avec l’intention d’entamer un nouveau départ.

Car les ministres des affaires étrangères des douze sont divisés sur la stratégie à suivre avec la Suisse. En effet, les pays du Sud de l'Europe (Espagne, Italie et Portugal), dont de nombreux ressortissants travaillent en Suisse, souhaitent obtenir des concessions de Berne, alors que les pays du Nord de l'Europe, moins intéressés dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, sont plus modérés.

«L’offensive de charme du Conseil fédéral a manifestement porté ses fruits, le premier obstacle sur la voie des accords bilatéraux avec l’UE a été franchi fin 1993», résume Sacha Zala, directeur de Dodis. Les écueils seront toutefois encore nombreux avant la conclusion des Accords bilatéraux I en 1999.