Sommet Biden-Poutine Ils étaient là en 85 et confient leurs attentes pour demain

sn, ats

15.6.2021 - 09:35

Ils ont participé de près ou d'un peu plus loin au sommet de 1985 entre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev à Genève. D'une cassette enregistrée en russe pour Kurt Furgler aux sourires, ils racontent. Et relaient leurs attentes sur la réunion Biden-Poutine.

Keystone-SDA, sn, ats

Les anciens du sommet de 1985 entre les dirigeants américain Ronald Reagan et soviétique Mikhaïl Gorbatchev racontent cette rencontre et relaient leurs attentes sur la discussion de mercredi entre le président américain Joe Biden et son homologue russe Vladimir Poutine à Genève (archives).
Les anciens du sommet de 1985 entre les dirigeants américain Ronald Reagan et soviétique Mikhaïl Gorbatchev racontent cette rencontre et relaient leurs attentes sur la discussion de mercredi entre le président américain Joe Biden et son homologue russe Vladimir Poutine à Genève (archives).
ATS

Agé alors de 40 ans, Walter Fust était collaborateur personnel du président de la Confédération. Aujourd'hui à la retraite, l'ancien chef de la Direction du développement et de la coopération (DDC) conserve «d'excellents souvenirs» de cette période.

«C'est un heureux hasard d'avoir eu M. Furgler à la présidence» au moment du sommet, dit-il à Keystone-ATS. De par son «intérêt pour les affaires internationales, sa stature et ses réseaux».

Comme pour le sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine aujourd'hui selon lui, il était important pour la Suisse de remplir son rôle d'hôte sans «instrumentaliser» la rencontre pour ses propres intérêts. Un bon moyen de mettre en valeur les atouts de la Genève internationale, selon lui. Même si, à l'époque, certains diplomates suisses zélés entraient trop souvent dans des salles des deux délégations pour répéter l'accueil de la Suisse, dit-il.

La tonalité des discours de bienvenue de M. Furgler a contribué à un climat favorable, une chaleur au milieu des écharpes de l'hiver genevois à l'époque. Des interventions préparées une semaine avant par le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères d'alors mais qui étaient trop similaires. Une exagération de la neutralité suisse, selon M. Fust, auquel M. Furgler demandera de les reprendre en reflétant les différences culturelles.

Un Gorbatchev «vigoureux»

Un discours pour l'accueil de M. Reagan finalisé deux heures avant le départ pour Genève. M. Fust doit alors enchaîner avec celui à l'intention de M. Gorbatchev, qui n'arrivait que le lendemain. «Le problème est que M. Furgler parlait bien anglais mais pas du tout russe», raconte aujourd'hui M. Fust.

Le conseiller personnel fait alors enregistrer sur cassette à Heidi Tagliavini, qui deviendra plus tard l'une des diplomates suisses les plus chevronnées, plusieurs phrases en russe que M. Furgler répétera. Trente ans plus tard, M. Gorbatchev confiera lors d'une soirée à M. Fust se souvenir très précisément de cet accueil. Et notamment d'une citation utilisée par le président de la Confédération.

Parmi la délégation américaine, le diplomate Jack Matlock avait été de son côté chargé de préparer pendant plusieurs mois M. Reagan pour le sommet. Agé de 92 ans, il se souvient de sa première rencontre avec le dirigeant soviétique comme quelqu'un de «vigoureux, doué et sûr de lui». Pour mettre un terme à la Guerre froide, «il a fallu aussi bien M. Reagan que M. Gorbatchev», dit-il.

Côté soviétique, la plupart des hauts responsables de la délégation sont aujourd’hui décédés, en dehors de l'ancien dirigeant communiste lui-même. Celui-ci avait expliqué quelques années après le sommet que les attentes en 1985 n'étaient «pas démesurées» et se limitaient à la volonté «d'un dialogue sérieux».

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Aujourd'hui âgé de 89 ans et résidant dans le canton de Vaud, Youri Nazarkine n'a pas assisté au sommet. Mais ce diplomate oeuvrait depuis son ministère sur les questions de désarmement.

Ambassadeur auprès de la Conférence du désarmement en 1987 à Genève, il sera désigné pour prendre la tête des négociations en 1989 du traité de réduction des armes nucléaires stratégiques (Start) pour son pays. «En 1985, la période était vraiment cruciale, entre confrontation et détente», se souvient celui qui a collaboré avec plusieurs institutions de recherche genevoises sur la sécurité.

«Bien sûr, ce sommet a joué un rôle important», insiste-t-il, parce que les deux dirigeants «ont accepté (le fait) qu'une guerre nucléaire ne peut être remportée et ne devrait jamais être lancée». Il a ouvert la voie à une rencontre plus concrète à Reykjavik pour avancer sur le désarmement. La réunion de Genève avait permis aux dirigeants de se connaître. Un tête-à-tête que retenait avant tout le secrétaire d’Etat américain George Schultz, récemment décédé.

«L'attitude facile et détendue l'un par rapport à l'autre, les sourires, la volonté d'objectifs, tout pouvait être observé» au terme des discussions, selon lui. Comme le rappelle M. Matlock, M. Reagan a ensuite souvent écrit personnellement à M. Gorbatchev, notamment pour éviter d'avoir à transiger avec les plus durs au sein de son administration.

Incertitudes pour Biden-Poutine

Comme en 1985, une incertitude plane sur les réelles attentes du sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine. «Personne ne peut anticiper le résultat. Soyons patients», glisse avec malice M. Nazarkine. Comme M. Fust, il relève que la situation a bien changé depuis 1985, avec la cybersécurité ou l'importance de la Chine comme nouvelles composantes.

L'ancien collaborateur de M. Furgler insiste aussi sur l'importance d'honorer les engagements pris. Selon lui, M. Gorbatchev a été déçu par les Occidentaux dans les années 90 et cette situation explique l'agressivité de M. Poutine contre eux.

Le sommet sera réussi si l'approche est constructive, pas seulement pour la façade, renchérit M. Nazarkine. «Je suis sûr que le président Poutine voudra discuter de contenu».

Et d'ajouter que les questions comme le Bélarus ou l'affaire Navalny, dénoncées par M. Biden, ne devraient pas détourner les deux chefs d'Etat de la principale question à aborder, le désarmement. «Le président Reagan avait compris que le meilleur moyen d'obtenir une amélioration des droits humains est par la diplomatie privée», dit M. Matlock.