Interview«Débloquer des millions de francs pour acheter des avions de combat est obsolète»
AllTheContent
29.8.2020
Dans son nouvel ouvrage intitulé «Sécurité et défense de la Suisse: casser les tabous, oser les solutions», Pierre-Alain Fridez questionne de manière très directe la relation qu’entretient aujourd’hui notre pays avec son armée. Pour le Conseiller national, la «Grande Muette» doit se réinventer et ce, le plus rapidement possible.
Pierre-Alain Fridez, vous êtes socialiste, médecin et, c’est vous qui le dites, «soldat sans gloire ni grade». Expliquez-nous comment vous vous retrouvez à signer un livre complet sur l’armée suisse…
C’est en fait assez simple: lorsque je suis entré au Conseil national en 2011, mes sensibilités personnelles et professionnelles me poussaient plus vers des questions sanitaires. Mais dans ce genre de commission, les places sont chères au sein du PS et, en tant que petit nouveau, il n’est pas réellement possible de choisir. C’est ainsi que j’ai intégré la commission de la politique de sécurité.
Âge: 63 ans Domicile: Fontenais (Jura) Profession: médecin généraliste Parcours politique: engagé au parti socialiste depuis 1973, maire de Fontenais de 1997 à 2008, député au Parlement jurassien de 1999 à 2006 et de janvier à novembre 2011. Conseiller national de 2011 à aujourd’hui.
Vous baignez donc littéralement dans les affaires militaires depuis plus de dix ans maintenant. Pouvez-vous dire que, depuis, vous avez développé une certaine affection pour l’armée suisse?
Vous savez, on associe souvent la gauche avec un combat unilatéral pour l’abolition pure et simple de l’armée suisse. Je suis plus nuancé sur la question. Personnellement, mon engagement politique a vraiment pris corps en 1973 en réaction au coup d’état au Chili contre Salvador Allende. Je ne suis donc pas un pacifiste pur et dur et c’est pourquoi j’ai tenu à effectuer l’entier de mon service militaire, lors duquel j’ai fait partie d’un comité de soldats. Dans ma vision des choses, j’imagine l’armée utile et au service des citoyens.
«Un conflit armé frontal avec l’un de nos voisins n’est que très peu probable...»
Dans votre ouvrage, vous postulez que l’armée suisse, sous sa forme actuelle, n’est plus en phase avec les menaces réelles et concrètes auxquelles le pays pourrait être confronté à l’avenir. C’est un sacré coup de pied dans la fourmilière…
Je pense qu’il faut dire les choses comme elles sont: il suffit de regarder un peu autour de soi aujourd’hui pour se rendre compte que rénover des chars d’assaut et débloquer des millions de francs pour acheter des nouveaux lance-mines et des avions de combat est obsolète. Un conflit armé frontal avec l’un de nos voisins n’est que très peu probable, donc, pour moi, continuer d’équiper notre armée en regard de cette éventualité est complètement incohérent.
Mais alors pourquoi continue-t-on de le faire? Pourquoi l’Assemblée fédérale et le peuple continuent-ils de valider des crédits qui vont dans ce sens?
L’armée suisse est, d’un point de vue historique et culturel, une véritable institution. Au cœur de la Berne fédérale, c’est un crime de lèse-majesté que de dire qu’elle n’est pas réellement celle qu’elle devrait être.
Nous y voilà: selon vous, elle devrait ressembler à quoi l’armée suisse aujourd’hui?
Depuis la Seconde guerre mondiale et la fin de la Guerre froide, le monde a changé très, très rapidement, tout comme les menaces qui planent actuellement sur les pays occidentaux. Les potentielles crises sanitaires, telles que celle que l’on vient de vivre, les attaques terroristes, la cybercriminalité ou la problématique de la migration sont des réalités bien plus concrètes qu’un conflit armé. Et la crise du Covid-19 nous montre que nous ne sommes pas réellement prêts à y faire face.
«La Suisse doit absolument continuer d’œuvrer pour le maintien de la paix à l’échelle internationale.»
Et cela vous inquiète?
Oui, vraiment. Le fait que l’on soit en train de réfléchir à acheter de nouveaux avions de combats alors que l’armée n’a, selon moi, pas été tout à fait pertinente sur le front du Covid-19 est inquiétant. Comme je l’écris dans le livre, il faut que l’on change de paradigme. Aujourd’hui, et c’est un point qui me tient à cœur, je pense que l’on a d’autres cartes à jouer, que ce soit à l’intérieur du pays mais aussi à l’extérieur: en plus de réformer notre armée, la Suisse doit absolument continuer d’œuvrer pour le maintien de la paix à l’échelle internationale. C’est également l’une des clés de notre sécurité.