Un surprenant secret ! La folle épopée des gueules noires et des mines fribourgeoises

Grégoire Galley

12.5.2023

Elles ne paient pas de mine et pourtant les collines de Saint-Martin/Progens, dans le canton de Fribourg, gardent dans leurs entrailles un surprenant secret. En effet, à une époque pas si lointaine, la région vivait au rythme du travail de ses gueules noires qui œuvraient à l’extraction d’un précieux combustible : le charbon. Ancien professeur au cycle d’Orientation de la Veveyse, Jean-Claude Vial s’est intéressé de près à cette formidable épopée minière. Reportage.

Revivez la folle épopée des mines fribourgeoises

Revivez la folle épopée des mines fribourgeoises

Elles ne paient pas de mine et pourtant les collines de Saint-Martin/Progens, dans le canton de Fribourg, gardent dans leurs entrailles un surprenant secret.

12.05.2023

Grégoire Galley

12.5.2023

L’histoire des mines de Saint-Martin débute au XVIIIe siècle. Elle est d’abord liée à la création d’une verrerie en 1776. Cette dernière utilise le charbon pour faire fondre le sable nécessaire à la fabrication du verre. «Cette entreprise se développe grâce à la demande des nombreux vignerons vaudois, genevois, neuchâtelois et bernois qui, désormais, conditionnent leur vin dans des bouteilles», souligne Jean-Claude Vial. Elle bénéficie aussi de la proximité de l’axe de communication reliant Berne au bassin lémanique.

Une somptueuse maison:  La Verrerie

Flairant la bonne affaire, un certain Jean-Baptiste-Jérôme Brémond, qui se présente comme un ancien secrétaire privé de Louis XVI, rachète la verrerie en 1800. Sous l’impulsion de cet entrepreneur originaire de Brignoles, en Provence, elle connaît son âge d’or.

En 1861, Antoine Brémond cède la moitié de son entreprise à la famille Quennec, originaire de Bretagne. Jouissant d’une fortune considérable, cette dernière va construire une somptueuse maison dans le village qui porte aujourd’hui le nom de La Verrerie. Un bâtiment qu’il est toujours possible d’admirer de nos jours.

La somptueuse maison construite par les Quennec à La Verrerie.
La somptueuse maison construite par les Quennec à La Verrerie.
Photo GG

Mauvais temps pour le charbon de Saint-Martin

Cependant, en raison du développement des voies ferrées en Suisse et en Europe, le charbon de St-Martin, très coûteux à cause de son faible rendement, va être peu à peu remplacé par le charbon venant de l’étranger. C’est ainsi que les mines sont abandonnées à la fin du XIXe siècle.

Quant à la verrerie, elle ferme définitivement ses portes en 1914. Le personnel est alors délocalisé à la verrerie de Saint-Prex. «Le gouvernement conservateur fribourgeois se méfiait de la réussite économique de la verrerie puisqu’elle était dirigée par des entrepreneurs promouvant des idées libérales ; et il ne voyait pas dans l’industrie l’avenir économique du canton. Par conséquent, elle n’a pas reçu de soutien de la part du pouvoir cantonal», précise Jean-Claude Vial.

Un nouveau souffle avec la Première guerre mondiale

En 1914, l’Europe s’embrase avec le déclenchement de la Première guerre mondiale. Alors que tout le monde s’attendait à un conflit de courte durée, ce dernier se prolonge, faisant craindre une pénurie de charbon en Suisse.

Afin d’éviter ce scénario catastrophe, les autorités se tournent alors vers le charbon indigène. «Dès 1916, les échanges sont complètement désorganisés en Europe. La Suisse est obligée de se passer du charbon étranger. Ainsi, elle redonne vie aux anciennes mines qui se trouvent sur son territoire», explique l’ancien enseignant. Les mines sont modernisées à grands frais. Cependant, tout s’arrête une nouvelle fois en 1921 avec le rétablissement des relations internationales.

«Au sommet de la production, ce sont 300 travailleurs qui suent sur le chantier»

Jean-Claude Vial

Ancien enseignant

La Seconde guerre mondiale, l’âge d’or des mines

Durant cette période de l’entre-deux-guerres, le charbon a la cote. On l’utilise pour se chauffer, pour l’artisanat ou encore pour l’industrie.

Avec la Seconde guerre mondiale, l’histoire se répète ! Les mines de Saint-Martin reviennent sur le devant de la scène et fonctionnent à nouveau à plein régime de 1942 à 1947. «Au sommet de la production, ce sont 300 travailleurs qui suent sur le chantier. Ces derniers, qui étaient agriculteurs pour la plupart, venaient surtout  de Saint-Martin et des villages alentours», détaille Jean-Claude Vial.

Même si les accidents tragiques sont heureusement relativement rares, les mineurs effectuent leur besogne dans des conditions dantesques. Ils ne sont d’ailleurs pas équipés contre la poussière et ne portent ni casques ni protections auditives.

Malgré tout, ils ne se plaignent pas de leur sort et reçoivent même un salaire tout à fait convenable pour l’époque. Ils travaillent par tranche de huit heures et cela tous les jours de la semaine, excepté le dimanche.

Les mines ne s’arrêtent jamais de fonctionner, pas même le 4 décembre, jour où Barbe, la sainte protectrice des mineurs, est célébrée en l’église de Saint-Martin. «Congratulations, louanges réciproques, remerciements, prières ou encore annonces réjouissantes jalonnaient cette fête», ajoute celui dont le père a sué dans les mines durant cette période.

Un vitrail représentant Barbe, la sainte protectrice des mineurs, dans l’église de Saint-Martin.
Un vitrail représentant Barbe, la sainte protectrice des mineurs, dans l’église de Saint-Martin.
Photo GG

Une fin définitive

Tout ce remue-ménage s’achève en 1945, avec l’effondrement de l’Allemagne nazie. Les mines sont démantelées en 1947. Les hommes qui y œuvraient retournent dans les champs ou deviennent artisans grâce aux compétences acquises dans les mines.

Aujourd’hui, il ne reste que des vestiges de cette formidable aventure minière. L’histoire pourrait-elle tout de même se répéter une troisième fois en cas d’un nouveau conflit majeur en Europe ? «Même s’il reste beaucoup de charbon dans la région de Saint-Martin, il est peu probable que les mines soient à nouveau exploitées en raison du coût démentiel que cela engendrerait», conclut Jean-Claude Vial.