Jura«La question du CO2 est plus urgente que les déchets nucléaires»
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27.8.2020
Dans le Jura, plus personne n’ignore que les entrailles du Mont-Terri abritent un laboratoire international de recherches sur l’entreposage des déchets radioactifs. Mais tout le monde ne sait pas, en revanche, que des expériences dédiées au stockage du gaz carbonique y sont aussi menées depuis près d’une dizaine d’années. Visite et explications.
Il ne faut pas toujours se fier aux apparences. Sur la carte que désigne Christophe Nussbaum, la «niche CO2», comprenez l’espace dévolu aux expériences sur le stockage du gaz carbonique, occupe une place presque dérisoire. La majeure partie des 1200 mètres de galeries représentés ici est occupée par la recherche sur l’entreposage des déchets radioactifs. «Nous menons à peu près 50 expériences annuellement, poursuit le chef de projet du Mont-Terri Project, et trois portent actuellement sur le CO2.» Il serait pourtant faux d’en conclure que le gaz carbonique n’est qu’un thème accessoire pour le laboratoire du Mont-Terri: «En termes de budget, cela représente à peu près le tiers du total», indique Christophe Nussbaum, qui parle même d’«expérience-mammouth» à propos de ce qui se passe en moment dans la niche CO2.
Nous sommes donc au cœur des entrailles du Mont-Terri, à quelques encablures de la gare de Saint-Ursanne, dans le canton du Jura. En cette fin d’après-midi et veille de week-end, les galeries sont désertes. Mais en temps ordinaire, une vingtaine de personnes travaillent parfois simultanément ici, dont certaines parcourent des milliers de kilomètres dans ce but. «Les recherches sur le stockage du CO2 intéressent beaucoup les pétroliers, qui sont de grands producteurs de gaz carbonique», illustre Christophe Nussbaum. Total et Chevron comptent ainsi parmi les partenaires du Mont-Terri Project, de même que le Département fédéral de l’énergie des États-Unis, swisstopo ou l’École polytechnique fédérale de Zurich, entre autres.
Voir comment le CO2 circule
Quelques minutes de marche encore, et nous voilà à l’entrée de la niche CO2. À nos yeux non avertis, le décor est plutôt banal: la dimension d’une salle de réunion, l’allure d’un chantier avec ces câbles qui se promènent sur le sol et, cachés dans des armoires bleues, des écrans et des manomètres. Mais ce qui intéresse les chercheurs ici, c’est ce qui se passe juste en dessous de leurs pieds – et donc des nôtres, à cet instant précis: «Contrairement aux déchets radioactifs, le gaz carbonique ne se stocke pas au cœur de l’argile, mais plus bas, dans du grès ou du calcaire par exemple, explique Christophe Nussbaum. L’argile joue ici un rôle de barrière, de couverture.» L’expérience qui se déroule dans cette niche doit permettre de vérifier l’étanchéité de cette couverture malgré les nombreuses failles qui parcourent le sous-sol.
«Le risque principal, poursuit le chef de projet, c’est que le CO2 remonte vers la surface...»
«Le risque principal, poursuit le chef de projet, c’est que le CO2 remonte vers la surface et contamine les eaux potables, c’est-à-dire les acidifie, les rendant impropres à la consommation. Avec cette expérience, il s’agit de voir si le CO2 peut circuler le long des failles et à quelle vitesse, si cela crée de la microsismicité… On essaie de comprendre les processus en jeu.» Pour cela, un forage a été réalisé sous le sol de la niche à travers une faille et un autre à un mètre d’écart. Dans le premier est injecté du gaz carbonique dont les chercheurs vérifient ensuite s’il migre vers le second, selon quel parcours, à quelle quantité, etc.
«Du CO2 , il y en a déjà trop»
Le Laboratoire du Mont-Terri n’en a pas fini avec les déchets nucléaires. Mais la thématique du CO2 est désormais d’une actualité encore plus brûlante. «Les déchets radioactifs, il faut de toute façon attendre quarante ans avant de les enfouir, le temps qu’ils refroidissent, souligne Christophe Nussbaum. La question du gaz carbonique est certainement plus urgente, puisqu’il y en a déjà trop dans l’atmosphère.» La prochaine expérience est d’ailleurs prévue: il s’agira d’injecter du CO2 dans la roche pendant dix ans au minimum. Le Mont-Terri restera donc encore longtemps un terrain de recherches – mais jamais de stockage, il faut le (re)dire encore une fois.