«Trente Glorieuses»50'000 enfants auraient vécu clandestinement en Suisse
olpe, ats
13.11.2022 - 13:55
Le nombre d'enfants de travailleurs saisonniers ayant vécu cachés en Suisse durant les «Trente Glorieuses» est bien supérieur aux estimations admises jusqu'à présent, révèle une nouvelle étude. 50'000 enfants auraient vécu clandestinement dans le pays de 1949 à 1975.
Keystone-SDA, olpe, ats
13.11.2022, 13:55
13.11.2022, 14:13
ATS
«L'impact de la migration dans la réalité constitutive de la Suisse est souvent sous-estimé et est en réalité supérieur à celui d'un pays comme les Etats-Unis», a déclaré dimanche à Keystone-ATS Toni Ricciardi, historien des migrations à l'Université de Genève et auteur d'une étude sur le placement des mineurs durant le boom des travailleurs saisonniers, réalisée dans le cadre d'un projet du Fonds national suisse (FNS) et dévoilée par la NZZ am Sonntag.
Le statut de saisonnier en Suisse, introduit en 1934 et aboli en 2002, permettait aux travailleurs concernés – dont 90% environ étaient Italiens – de rester neuf mois par an en Suisse et n'autorisait le regroupement avec les enfants que durant trois ou six mois, selon les cantons. Cela a engendré des séparations souvent douloureuses, les mineurs devant soit rester au pays, soit vivre cachés en Suisse.
Trois fois plus
Il n'existe pas de chiffres officiels sur l'ampleur du phénomène, et Toni Ricciardi s'est dit lui-même étonné qu'un pays comme la Suisse dispose de si peu de statistiques exploitables sur le nombre exact de saisonniers à l'époque. A fortiori, le nombre d'enfants clandestins a été d'autant plus difficile à établir.
Jusqu'à présent, les historiens avaient estimé le nombre de ces enfants clandestins entre 10'000 et 15'000. Mais l'étude de M.Ricciardi les évalue à près de 50'000, sur environ 25 ans.
Ce n'est cependant qu'une dimension du problème. L'historien estime à environ un demi-million le nombre de mineurs concernés par ces séparations, si l'on ajoute ceux restés au pays (en Italie), le plus souvent chez leurs grands-parents, ou placés dans des institutions.
Vivre dans la clandestinité signifiait aussi ne pas être scolarisé, même si la société civile suisse s'est mobilisée, notamment à Neuchâtel, pour offrir une instruction et des soins médicaux aux mineurs concernés, précise Toni Ricciardi. Parfois au su des autorités, qui pouvaient fermer un oeil. Mais la peur régnait.
Traces profondes
Cette séparation des familles a laissé de nombreuses traces parmi les personnes concernées – parents, enfants – dont se soucie notamment l'association Tesoro, fondée l'automne dernier à Zurich. Il est parfois difficile pour elles d'intérioriser réellement le fait qu'elles existent, vu les déchirements et le «jeu» de cache-cache auxquels elles ont été soumises, explique l'association.
La question se pose du versement d'éventuelles réparations pour les personnes concernées. Tesoro a déjà évoqué le sujet mais préfère ne pas précipiter les choses, la question étant délicate. M. Ricciardi estime de son côté que les indemnisations ne sont pas l'élément le plus important. L'essentiel, selon lui, est d'abord de mettre en lumière le phénomène.