Le fax n'est pas si loinLe système de santé en retard en matière de numérisation
lt, ats
14.2.2021 - 12:52
La crise due au coronavirus a fait éclater au grand jour le retard de la Suisse en matière de numérisation du domaine de la santé. Si les connaissances sont là, la volonté fait défaut, non seulement du côté des autorités, mais aussi au sein de la population, estiment des experts.
La crise a mis en évidence des lacunes dans le domaine de la numérisation en Suisse. Parmi celles-ci figurent les fax que certains médecins et hôpitaux utilisaient encore pour transmettre des données au début de la crise. Et puis il y a les interminables fichiers Excel, les sites web confus, les problèmes d'enregistrement des personnes qui veulent se faire vacciner, ou encore la coordination des lits disponibles dans le pays menée par le secteur privé.
Les pompiers de l'OFSP
Lorsqu'il a appris que l'OFSP utilisait encore des fax l'année dernière, le docteur en informatique médicale Andreas Wicht a qualifié la situation d'effrayante. L'expert en numérisation du secteur de la santé pour le compte de la société de conseils Synpulse s'étonne que les processus n'étaient pas pensés pour faire face à cette crise.
L'économiste de la santé et professeur à la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW) Alfred Angerer tance aussi l'OFSP pour la désuétude de ses méthodes de travail. «Quand la maison a brûlé, il était déjà trop tard», poursuit M. Angerer, pour qui «on ne peut pas rattraper en quelques semaines des années de négligence».
Depuis le début de la pandémie, l'OFSP n'a donc pas eu d'autres choix que de jouer les pompiers, ajoute M. Wicht. Une approche globale, où l'ensemble des processus sont pensés numériquement, a fait défaut.
Concours d'idées
M. Angerer n'attendait cependant pas de l'OFSP qu'elle fonctionne parfaitement durant la pandémie. Mais le spécialiste déplore qu'elle n'ait pas prévu un système capable de réagir avec souplesse à l'imprévu.
Une telle approche aurait été parfaitement concevable, et il aurait fallu réfléchir rapidement à des solutions non conventionnelles, ajoute-t-il. S'il avait été sollicité, l'expert aurait suggéré un hackaton, un concours d'idées pour «aspirer» les connaissances des experts en Suisse, loin du monde politique.
Il y a tant de fournisseurs de technologie en Suisse, et le savoir-faire est là, complète M. Wicht. L'expert encourage l'OFSP à approcher plus rapidement les acteurs innovants et à travailler avec eux pour promouvoir et mettre en œuvre des idées.
Certes, les responsables ont essayé de mettre en œuvre des solutions pragmatiques. Mais jamais ils n'avaient eu à satisfaire des besoins aussi variés, allant des hôpitaux et des médecins aux cantons, en passant par les experts et, surtout, le grand public. Et c'est ainsi qu'ont vu le jour les sites web qui donnaient le sentiment d'avoir été programmés par un juriste, tacle M. Wicht.
Seule l'application Swiss Covid échappe aux critiques. M. Angerer la qualifie de rare «phare» dans le domaine de la santé numérique. Il loue «une action centrale, sans implication des grandes sociétés de logiciels et avec une solution pour les données sensibles, communiquée ouvertement et mise en œuvre en tenant compte des préoccupations des gens».
La volonté manque
«Sur le plan strictement scientifique», il est difficile d'évaluer précisément et de manière détaillée les avantages de la numérisation pour les soins de santé, nuance M. Wicht. Ce qui est certain, c'est que dans un monde non numérisé, les erreurs et les abus risquent davantage de passer inaperçus. En outre, il lui paraît logique que, durant une pandémie, plus les données sont bonnes, plus la probabilité que de meilleures décisions soient prises augmente.
M. Angerer attribue l'échec de la numérisation dans le domaine de la santé au manque de volonté de tous les acteurs concernés. Il y a trop d'intérêts particuliers en politique et aucun consensus sur cette question.
Les préoccupations des citoyens concernant le «patient transparent» et la peur des pirates informatiques ne sont pas non plus étrangères aux réticences. Enfin, il y a un manque de communication autour de la question des bénéfices que les gens peuvent retirer de la numérisation du domaine de la santé.
Ce dernier point est le grand dilemme de la prévention: «aujourd'hui les coûts, demain les bénéfices». Il appartient à la Confédération de faire avancer la numérisation, si nécessaire avec un peu de contrainte, conclut M. Angerer.