Un tiers des Suisses sans religion L’Eglise perd ses ouailles

de Gil Bieler

18.2.2021

La Suisse, un pays de non-croyants: l’Eglise catholique et l’Eglise réformée perdent de nombreux membres. Pourquoi? Tour d'horizon des raisons de cet exode, des affaires d’abus sexuels à... la pratique du yoga.

Garder ses distances: comme ici à l’église de Fraumünster à Zurich, les messes sont toujours autorisées pendant la pandémie, mais sont limitées à 50 personnes.
Garder ses distances: comme ici à l’église de Fraumünster à Zurich, les messes sont toujours autorisées pendant la pandémie, mais sont limitées à 50 personnes.
Keystone/Alexandra Wey

L’Eglise catholique a enregistré plus de 31 700 départs en 2019, un exode record. Et cette tendance négative se poursuit également au sein de l’Eglise évangélique réformée de Suisse: son pourcentage parmi la population a chuté à 22,5% – un chiffre historiquement bas.

Un autre groupe, en revanche, ne cesse de se développer: celui des personnes sans confession. En 2019, près d’un tiers de la population n’avait plus de religion, comme le montre le dernier recensement fédéral. Les non-croyants sont déjà le deuxième groupe le plus important du pays après les catholiques et sont même passés devant les réformés. Ce phénomène est d’autant plus notable qu’il y a 50 ans, la quasi-totalité des habitants du pays appartenaient à l’une des deux grandes églises nationales.



«Bien entendu, cette évolution n’est pas positive», relève Dominic Wägli, responsable de la communication de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS). «La situation de l’Eglise découle également – comme pour toute institution – du nombre de membres.» Mais ce n’est pas le seul critère, souligne-t-il: la qualité des services fournis aux fidèles entre également en ligne de compte.

«L’Eglise n’a plus nécessairement le monopole du spirituel»

Pour expliquer cet exode, Dominic Wägli ne peut que se livrer à des spéculations. L’engagement de l’Eglise en faveur de l’initiative pour des multinationales responsables l’an dernier n’a certainement pas été bien accueilli par tout le monde, concède-t-il. «Certains ont dit: "Ce n’est plus mon Eglise."» Plus généralement, ajoute-t-il, l’Eglise doit faire face à une concurrence croissante: «L’Eglise n’a plus nécessairement le monopole du spirituel.» Que ce soit à travers la méditation ou des promenades en forêt, les gens ont aujourd’hui différentes manières de vivre une expérience spirituelle, explique-t-il.

Le profil type du candidat au départ: jeune, de sexe masculin, ayant fait des études supérieures

Du côté des catholiques, on en sait un peu plus sur ceux qui tournent le dos à l’Eglise. Urs Winter-Pfändler étudie ce phénomène à l’Institut suisse de sociologie pastorale (SPI) de Saint-Gall, qui est soutenu par l’Eglise catholique. «Le profil type du candidat au départ est un homme âgé de 25 à 35 ans», affirme-t-il. Les personnes qui quittent l’Eglise ont également tendance à avoir fait des études supérieures et à vivre en milieu urbain.

L’une des raisons pour lesquelles les gens quittent l’Eglise précisément à cet âge pourrait être l’impôt ecclésiastique: «Après leurs études, ces personnes touchent leur premier salaire et cet impôt les dérange», explique le théologien et psychologue, qui ajoute que les personnes de cette tranche d’âge sont souvent sans enfants, ce qui facilite également la sortie de l’Eglise.

Urs Winter-Pfändler soutient également que la société en général est devenue plus laïque et plus individualiste: «Les gens n’ont plus ce même sentiment d’appartenance à des organisations, qu’il s’agisse de l’Eglise ou d’une association.» Ce fait représente selon lui un autre défi pour l’Eglise.

«Les affaires d’abus sexuels sont néfastes à l’Eglise»

La couverture médiatique négative entourant l’Eglise a également un effet: ainsi, les départs se sont multipliés en 2009 et 2010 lorsque la Fraternité Saint-Pie-X a fait parler d’elle. A cela s’ajoutent bien entendu les nombreuses révélations d’abus sexuels commis par des membres du clergé dans différents pays. «Les affaires d’abus sexuels sont néfastes à l’Eglise», indique Urs Winter-Pfändler en référence aux départs.

Au cours des trois dernières années, un nouvel exode a été enregistré. Les discussions sur le rôle des femmes dans l’Eglise et sur l’accès des divorcés remariés à la communion ont fait fuir des membres de l’Eglise, explique Urs Winter-Pfändler. Une autre donnée manque à cette liste: l’an dernier, la Suisse s’est de nouveau attaquée à la question du «mariage pour tous», un autre sujet controversé.



Néanmoins, selon le théologien, l’Eglise ne doit pas tenter de satisfaire tout le monde pour garder ses membres: «L’Eglise doit rester fidèle à elle-même. Mais elle pourrait mieux expliquer sa position.» Pour de nombreux membres de l’Eglise, précise-t-il, le plus grand problème relève d’un manque de crédibilité: le public n’apprécie guère que l’on fasse le contraire de ce que l’on prêche. «Surtout en ce qui concerne les affaires d’abus sexuels, l’Eglise a fait des erreurs.» Pour le théologien, ces agissements doivent être reconnus et digérés.

L’Evangile comme «argument clé de vente»

Rita Famos, qui est depuis le début de l’année la première femme à la tête de l’Eglise réformée, est elle aussi préoccupée par ces départs. Sur la SRF, elle a résumé la question qui la taraude: «Comment pouvons-nous faire en sorte que nos membres restent fidèles à notre Eglise à une époque où ce n’est plus un fait acquis?»

«Nous devons mettre davantage en avant notre argument clé de vente», estime Dominic Wägli, porte-parole de l’EERS. «Nous proclamons l’Evangile, qui est censé donner de l’espoir aux gens.» Le yoga, par exemple, ne permet pas cela, affirme-t-il. La différence avec les autres offres spirituelles se reflète également à travers l’importance que le Conseil fédéral accorde aux églises. Les messes sont toujours autorisées et peuvent accueillir 50 personnes au maximum, bien que certains cantons revoient cette limite à la baisse. Les centres de yoga sont en revanche fermés.

«Après tout, nous avons tous dû changer nos habitudes face à cette pandémie»

La nouvelle présidente de l’EERS ambitionne également de mieux atteindre les jeunes, mais aussi de promouvoir la numérisation – dans un contexte où la pandémie de coronavirus joue un rôle d’accélérateur. «L’Eglise a également dû procéder à des changements», affirme Dominic Wägli, qui précise que les réseaux sociaux et autres canaux virtuels peuvent justement servir à mieux atteindre les jeunes. Les pratiquants traditionnels ont également apprécié les messes en ligne, observe-t-il: «Après tout, nous avons tous dû changer nos habitudes face à cette pandémie.»

«La pandémie de coronavirus sera un test décisif pour l’Eglise»

Mais les offres en ligne peuvent-elles vraiment remplacer les messes collectives à l’église? «Pas dans tous les domaines», reconnaît Dominic Wägli. Malgré tout, poursuit-il, l’EERS conseille même de rester sur ses gardes vis-à-vis des messes en présentiel, tandis que les autres formats – comme les messes en ligne ou les visites à domicile d’un pasteur – doivent faire l’objet de la même attention. Pour Dominic Wägli, une chose est sûre: «La pandémie de coronavirus sera un test décisif pour l’Eglise.»

L’évolution du nombre de départs de l’Eglise en 2020, une année marquée par le coronavirus, ne peut encore être déterminée. Urs Winter-Pfändler voit cependant des signes que moins de fidèles qu’en 2019 auront tourné le dos à l’Eglise catholique. «La pandémie a engendré de nombreux coups du sort. Dans ce contexte, peut-être que certains ont vu que l’Eglise pouvait aussi leur être bénéfique.»

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