Egalité Les femmes restent rares à la tête des banques privées genevoises

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6.7.2021 - 21:09

La récente nomination d'une femme au collège des associés de Pictet – bien que fait marquant pour le groupe – peine à faire oublier le déséquilibre criant qui prévaut dans les hautes instances dirigeantes des banques privées genevoises. Les hommes restent solidement aux manettes des établissements parfois pluricentenaires de la Cité de Calvin.

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Elif Aktug a brisé un plafond de verre chez Pictet, devenant fin juin la première associée du groupe bancaire fondé il y a 216 ans.
Elif Aktug a brisé un plafond de verre chez Pictet, devenant fin juin la première associée du groupe bancaire fondé il y a 216 ans.
KEYSTONE

Selon un décompte réalisé par AWP sur un panel de 11 établissements aux racines genevoises, seules 14 femmes occupent un mandat d'associée, d'administratrice ou de membre de la direction générale, moins de 10% de l'ensemble des 150 postes passés en revue.

Parmi elles, seules trois figurent tout au sommet de la hiérarchie, soit Ariane de Rothschild et Geneviève Berclaz, respectivement présidentes d'Edmond de Rothschild et de One Swiss Bank, ainsi que Camille Vial, qui dirige la banque Mirabaud & Cie.

Elif Aktug a brisé un plafond de verre chez Pictet, devenant fin juin la première associée du groupe bancaire fondé il y a 216 ans. Avant elle, 43 hommes se sont succédé dans le Saint des saints de l'un des plus anciens établissements de la place, accessoirement le plus important en termes de masse sous gestion. Le collège de Pictet compte sept membres.

«Je trouve bien que Pictet ait – enfin ! – réussi à gravir cette marche. Cela étant, je pense que le secteur de la finance à Genève, encore plus qu'à Zurich, reste un club de garçons», explique à AWP Véronique Riondel, membre de l'association genevoise Career Women's Forum et cadre auprès de Banque Syz.

Basée à Genève, l'Association de banques privées suisses (ABPS) reste prudente sur le sujet. «C'est une affaire qui concerne chaque banque individuellement, mais ce développement est certainement réjouissant», note le directeur de la faîtière Jan Langlo.

«Moins de 10%, c'est caricatural et révélateur du système duquel on peine à sortir, un système patriarcal qui verrouille et tient à ses privilèges», affirme pour sa part Françoise Nyffeler, membre du Collectif genevois pour la grève féministe des femmes.

Chez Edmond de Rothschild, deux femmes occupent des postes de premier plan, soit Ariane de Rothschild et Cynthia Tobiano, qui est directrice générale adjointe. Ce chiffre reste proportionnellement bas par rapport aux huit sièges de direction et des cinq du conseil.

Chez UBP, la part est de trois sur 15, soit Nadège Lesueur-Pène au comité exécutif ainsi qu'Eftychia Fischer et Anne Rotman de Picciotto à l'organe de surveillance. Chez Reyl, les six associés sont des hommes. L'ancienne conseillère fédérale Ruth Metzler siège au conseil d'administration (cinq sièges), tandis que la direction compte deux femmes sur seize.

Après la grève féministe

Le collège de Lombard Odier, composé de six associés, compte Annika Falkengren comme membre. En élargissant aux 20 associés commanditaires, on trouve encore Nathalia Barazal. Il faut souligner cependant que la banque était précurseuse en intégrant dès 2002 – et jusqu'en 2016 – Anne-Marie de Weck parmi ses associés gérants, une première pour une femme en Suisse romande.

En plus de son poste à la tête de Mirabaud & Cie, Camille Vial figure parmi les quatre associés gérants du groupe Mirabaud, huit en prenant en compte les associés commanditaires. La direction générale du groupe Syz est exclusivement masculine, alors que Suzanne Syz et Marlene Norgaard Carolus sont administratrices.

En revanche, pas l'ombre d'une femme dans les hautes instances dirigeantes des banques Heritage, Bordier et Gonet.

La nomination d'Elif Aktug chez Pictet est intervenue quelques jours après la grève féministe du 14 juin, qui a réuni 120'000 personnes en Suisse, selon les organisatrices. «Ces grandes mobilisations, qui montrent la légitimité des revendications et l'ampleur de la détermination, provoquent un changement de mentalité. (...) Cela donne également un sentiment de légitimité aux femmes pour exiger davantage», indique Mme Nyffeler.

Pour Véronique Riondel, un désavantage important persiste dans le secteur bancaire. «Pour être sélectionnée soit comme cadre, soit comme administratrice, une femme doit actuellement prouver qu'elle est capable, toujours plus qu'un homme.»

Un comble, alors que de nombreux établissements vantent leur offre estampillée «durable». «Il y a un double discours 'faites ce que je dis, pas ce que je fais'. C'est beaucoup plus facile de promouvoir un produit, d'ailleurs souvent plus attaché à la partie environnementale et sociale qu'à la partie gouvernance, que de faire une introspection», selon Mme Riondel.

Cette dernière est favorable à l'introduction de quotas comme mesure contraignante afin de faire avancer la cause des femmes dans le «top management» des banques. Le Collectif genevois pour la grève féministe des femmes ne s'est pas encore prononcé sur la question, mais Françoise Nyffeler pense qu'une majorité est favorable à un tel dispositif.