Situation alarmante Les serpents, ces reptiles qui disparaissent sous nos yeux

Gregoire Galley

22.12.2023

Les populations de reptiles ne cessent de diminuer en Suisse. La situation des serpents est particulièrement préoccupante. Collaborateur scientifique à Info Fauna, Sylvain Ursenbacher tire la sonnette d’alarme. Entretien.

La situation des serpents est préoccupante en Suisse.
La situation des serpents est préoccupante en Suisse.
ats

Gregoire Galley

Quelles sont les causes qui expliquent la diminution des populations de reptiles et d’amphibiens en Suisse ?

«La cause principale de cette tendance est la destruction des habitats favorables à ces animaux. Cela s’explique notamment par l’agriculture intensive. En outre, il y a aussi de plus en plus de constructions dans des zones qui sont favorables aux reptiles. C’est le cas par exemple des endroits ensoleillés de l’Arc lémanique ou du pied du Jura. Proche des habitations, il y a également un ennemi de taille pour les reptiles : le chat. Ce dernier est un véritable prédateur capable de tuer des populations entières de lézard et même de s’attaquer à des serpents, vipères comprises. Enfin, les constructions de nouvelles routes sont aussi un problème.»

«Toutefois, il est important de souligner que les amphibiens se portent mieux que les reptiles. En effet, alors que les populations de ces derniers sont en constante diminution, celles de certaines espèces d’amphibiens se stabilisent depuis quelques années. Elles profitent de certains aménagements, tels que les étangs, qui ont été réalisés afin de les protéger.»

Pourquoi la situation des reptiles est-elle moins réjouissante ?

«Il est certain que nous avons pris beaucoup de retard en ce qui concerne la protection des reptiles. De leur côté, les amphibiens ont beaucoup profité du fait que de nombreuses personnes, des ONG et des cantons ont construit des étangs et revitalisé des zones humides. Cependant, des améliorations sont également en train d’être réalisées pour les reptiles. Dans les milieux boisés, les forestiers améliorent les lisières par exemple. Certains agriculteurs laissent aussi davantage de zone en jachère proche des forêts ou des haies, ce qui permet aux populations de reptiles de retrouver de la vigueur.»

«L’utilisation de moins de pesticides par les viticulteurs augmentent aussi la diversité des insectes, et donc des lézards. Des privés construisent également plus facilement des petits murets dans leur jardin afin de favoriser le développement de ces espèces. A certains endroits, nous observons des résultats positifs mais ces tendances ne sont pas encore visible globalement, car les reptiles réagissent plus lentement que les amphibiens à ces améliorations.»

Le changement climatique est-il aussi un facteur aggravant ?

«Oui, certaines espèces de reptiles sont directement impactées par le changement climatique. C’est le cas par exemple de la vipère péliade et du lézard vivipare qui apprécient les zones humides et fraiches. Avec un climat plus chaud et sec, ces endroits ont tendance à se faire de plus en plus rare ce qui nuit directement à ces deux espèces. A l’inverse, les espèces qui proviennent du sud vont voir leur aire de répartition en Suisse augmenter au profit des espèces plus nordiques.»

«Il faut ramener un peu de diversité dans nos jardins»

Sylvain Ursenbacher

Collaborateur scientifique à Info Fauna

Quelles sont les mesures qu’il faudrait mettre en place afin d’inverser cette tendance ?

«Comme je l’ai déjà mentionné, il faut promouvoir les zones de jachère ou les haies en milieu agricole. Mais, en fin de compte, il ne faut pas nécessairement imposer de nouvelles contraintes aux agriculteurs mais plutôt mieux imbriquer les choses entre production et biodiversité. Cela signifie qu’il faut se poser les bonnes questions en se demandant où mettre les zones d’herbage, où mettre les zones de jachère ou encore quand faucher ?»

«Cependant, même si certains agriculteurs font les choses très bien, globalement les mesures de promotion de la biodiversité dans la politique agricole ne suffissent pas à inverser la tendance pour la biodiversité. Chez les privés, il y aussi des progrès à faire. Dans ce sens, il faudrait laisser des espaces naturels dans les jardins et ne pas vouloir absolument tondre son gazon chaque semaine. En résumé, il faut ramener un peu de diversité dans nos jardins.»

La Confédération en fait-elle assez ?

«La Confédération soutien les cantons qui ont la responsabilité de promouvoir la biodiversité sur leur territoire. Même si ces derniers ont envie de faire plein de choses positives pour la biodiversité, il manque souvent de ressources humaines et financières pour mettre en place plus de mesures. Dans ce sens, il faudrait davantage de gens qui jouent le rôle de catalyseurs entre les biologistes et les exploitants en aidant ceux qui sont peut-être prêts à protéger les reptiles et les amphibiens, mais qui ne savent pas trop par où commencer.»

La situation des serpents est encore plus préoccupante. Pourquoi ?

«Tout d’abord, beaucoup de personnes estiment encore aujourd’hui qu’un bon serpent est un serpent mort. Cela implique que les gens tuent volontairement les serpents, même les espèces qui ne sont pas venimeuses. Ensuite, ils pâtissent aussi de la diminution du nombre de micromammifères qui constituent leur proie principale.»

«En outre, ils souffrent aussi en raison de la disparition de leur habitat. Auparavant, les serpents n’étaient pas rares dans les haies mais ces zones ont presque totalement disparu ces trente à quarante dernières années. Tout comme les endroits chauds et secs qui sont très prisés pour nos habitations.»

Les pays qui nous entourent s’en sortent-ils mieux que la Suisse ?

«A part dans les zones alpines, la Suisse est très densément peuplée. Il est donc compliqué de satisfaire simultanément les besoins de l’agriculture, de promouvoir la biodiversité et de fournir assez d’espace pour nos habitations. Ces problématiques se font moins ressentir chez nos voisins bien que les populations de reptiles aient aussi tendance à diminuer en France par exemple.»

«Pour conclure, j’aimerais aussi mettre le doigt sur le fait qu’en Suisse on aime le «propre en ordre». Dans ce sens, on adore tout entretenir, tout faucher, tout nettoyer et tout gérer parfaitement. Malheureusement, les reptiles, et la biodiversité en général, aiment le désordre et en ont besoin pour survivre.»