Aides aux "cas de rigueur"«Ni suffisantes, ni assez rapides, ni équitables»
Valérie Passello
6.1.2021
Les entreprises dites "cas de rigueur", contraintes de fermer en raison de la pandémie, peuvent prétendre à une aide de la Confédération et des cantons, sous conditions. Mais pour les principaux concernés, dont la branche de l'hôtellerie-restauration, ce soutien n'est pas du tout satisfaisant.
«Nous avons rempli les fichiers Excel du canton pour voir si nous avions droit à quelque chose de la part de la Confédération: niet! Nous ne perdons "que" 37,2% de chiffre d'affaires», déplore une restauratrice vaudoise. «C'est catastrophique, il n'y a absolument rien pour les petits comme nous», désespère un chef fribourgeois.
Et le propriétaire d'un fitness valaisan de lâcher: «On nous laisse crever. Je ne me sens ni écouté, ni soutenu. On m'empêche de travailler et on m'accorde une aide à hauteur de 5% de mon chiffre d'affaires. Pour un mois qui m'aurait rapporté 30'000 francs par exemple, ça fait 1'500 francs: vous vous rendez compte?»
Ce ne sont que quelques voix parmi tant d'autres. Témoignant de l'insatisfaction générale et de la frustration éprouvée par ceux qui se retrouvent dans une situation qu'ils n'ont pas choisie et qui n'y voient pas les compensations escomptées.
Une situation appelée à durer, puisque la fermeture des établissements devrait encore être prolongée jusqu'à la fin février, a-t-on appris en ce mercredi 6 janvier.
2,5 milliards de francs
Pourtant, les aides aux entreprises «cas de rigueur», souffrant particulièrement des conséquences de la pandémie, ont été mises en place, adaptées et prolongées. Justement pour soutenir les entreprises qui ont été ou qui sont toujours contraintes de fermer boutique par mesure de précaution à cause de la crise sanitaire.
Le 18 décembre, le Conseil fédéral a validé les modifications de l'ordonnance Covid-19 en ce sens. Le chiffre d'affaires annuel minimum donnant droit à une telle prestation a été abaissé de 100'000 à 50'000 francs. Concernant les allocations pour perte de gain, les entreprises, pour être éligibles, doivent avoir vu fondre leur chiffre d'affaires d'au moins 40% et non plus de 55%, comme l'ordonnance l'exigeait jusque-là.
Au total depuis le début de la pandémie, l'enveloppe dévolue aux «cas de rigueur» s'est garnie de 2,5 milliards de francs. La participation fédérale à ces aides est d'environ deux tiers, les cantons assumant le tiers restant. Ces derniers s'appuient sur les bases citées plus haut et ont la liberté de définir des conditions d'octroi qui leur sont propres.
Le Département fédéral des finances est en outre chargé d’examiner avec les cantons, d’ici à la fin du mois de janvier, s’il y a lieu d’assouplir les conditions d’éligibilité aux mesures pour ces cas particuliers.
La colère gronde
Les associations cantonales de cafetiers, restaurateurs et hôteliers ne cachent pas leur mécontentement par rapport aux soutiens proposés, tant sur la forme que sur le fond.
Président de GastroVaud et député au Grand Conseil, Gilles Meystre dénonce: «Les aides ne sont ni suffisantes, ni assez rapides, ni équitables.»
Son homologue fribourgeoise Muriel Hauser pointe elle aussi l'insuffisance des mesures: «Dans notre canton, les aides sont multiples, mais elles ne couvrent pas les 30% à 35% de coûts fixes que les hôteliers et restaurateurs doivent assumer. Pour ce qui est des «cas de rigueur», les entrepreneurs qui ont fait juste en mettant de l'argent de côté à titre privé ou professionnel, se voient déduire le montant de leurs économies des aides attribuées: c'est inadmissible!»
Gilles Meystre poursuit: «Ces aides sont trop lentes, car les plateformes en ligne permettant de déposer des demandes n’ont été activées que fin décembre ! Et la paperasse exigée est chronophage aussi.» Il relève également leur dimension «inéquitable», en raison de seuils d’accès «beaucoup trop élevés».
Efforts contreproductifs
Sur ce point, la présidente de GastroFribourg relève: «Certains ont tout mis en place pour engendrer du chiffre d'affaires malgré la fermeture, en organisant un service à l'emporter, par exemple. Au final, ils s'aperçoivent qu'ils ne peuvent pas prétendre à une telle aide. C'est désespérant!»
D'après un sondage réalisé par la faîtière vaudoise des restaurateurs et hôteliers pendant les fêtes, 62,6% des 412 établissements sondés n'y auront pas droit, n'ayant pas atteint le fameux seuil des 40% de perte.
À Fribourg comme ailleurs, les crédits Covid ont permis à une majorité de tenir jusqu'ici. «Cinq ou six établissements ont fermé, soit dans le cadre d'une procédure de faillite, soit avant d'en arriver à ce stade», indique Muriel Hauser. Mais elle s'attend à d'autres conséquences «catastrophiques» ces prochains mois, en raison de la troisième fermeture imposée.
Dans les cantons de Vaud, de Fribourg et du Valais, les aides sont accessibles pour des entreprises qui réalisent habituellement un chiffre d'affaires annuel d'au moins 50'000 francs, mais elles sont plafonnées à 500'000 francs. «Ce n'est pas assez élevé, s'insurge Muriel Hauser. Pour un hôtel notamment, il est courant d'atteindre 2 millions de chiffre d'affaires en temps normal, ce qui fait une perte de 1,5 million.»
«On filtre pour économiser... C’est indécent», assène Gilles Meystre.
Revendications et actions
Tant chez GastroVaud que chez GastroFribourg, les revendications sont claires: la branche réclame une indemnisation couvrant les frais fixes, simple à obtenir, à fonds perdus et sans trop de tracasseries administratives.
Les pistes qui pourraient s'avérer efficaces, selon GastroVaud, seraient: la suspension des procédures de poursuite et faillite, des aides au paiement des loyers pour les mois de fermeture ou encore la suppression de l’obligation faite aux employeurs de payer les charges sociales sur le 100% des salaires, alors qu’ils ne reçoivent que 80% des salaires via les RHT.
«Quand l’État prive des citoyens de leur droit de travailler et d’acquérir un revenu, il doit les indemniser. Et pas du bout des doigts! Ce n’est nullement demander l’aumône. C’est tout simplement rappeler les valeurs de justice, de responsabilité et de solidarité qui sont aux fondements de notre démocratie", estime Gilles Meystre. Et Muriel Hauser de conclure: «Les autorités doivent assumer et prendre conscience de l'urgence de la situation.»
Si l'hôtellerie-restauration a ses porte-paroles, qui s'échinent à envoyer des courriers, lancer des coups de fil, appuyer les demandes de leurs membres, ou encore faire pression sur les politiques pour que le secteur soit entendu, toutes les entreprises «cas de rigueur» ne sont pas dans ce cas.
Une vingtaine d'exploitants de fitness valaisans tentent aujourd'hui de se regrouper pour être plus visibles aux yeux des décideurs. D'autres branches, comme l'événementiel professionnel, le transport professionnel de personnes, les agences de voyage, les forains ou les magasins de souvenirs, sont aussi concernées.