Genève/Berne
Des chercheurs des universités de Genève et Berne ont identifié une nouvelle piste dans la lutte contre le paludisme. Elle pourrait permettre de bloquer le développement du parasite chez l’être humain ainsi que sa transmission de l’humain au moustique et vice-versa.
Si les médicaments actuels ne sont pas parvenus à juguler la maladie, c’est principalement pour deux raisons: l’apparition rapide de résistances et leur inefficacité à interrompre la transmission, a indiqué jeudi l'Université de Genève (UNIGE) dans un communiqué.
Dans les zones endémiques, les individus infectés développent une immunité naturelle et ne souffrent que d’une forme atténuée de la maladie. Par contre, s’ils se font à nouveau piquer par un moustique, ils peuvent lui transmettre le parasite et le transformer en vecteur du paludisme, même s’ils suivent un traitement.
Pour éradiquer ce fléau, il faut donc développer des molécules ciblant à la fois les formes sanguines du parasite et les formes responsables de la transmission chez le moustique, ainsi que les formes hépatiques, le parasite transitant par le foie de son hôte avant de s’installer dans les cellules du sang.
Piéger le parasite
Sous la direction de Dominique Soldati-Favre, microbiologiste à l'UNIGE, une équipe de chercheurs a étudié le parasite avec une approche inédite: "Plasmodium est un parasite intracellulaire obligatoire, ce qui signifie que sa survie et sa dissémination reposent sur sa capacité à entrer, se répliquer et ressortir des cellules hôtes", explique-t-elle, citée jeudi dans un communiqué de l'UNIGE.
"En nous intéressant de plus près à certaines enzymes appelées protéases aspartiques, nous avons découvert que deux d’entre elles sont essentielles pour que le parasite puisse pénétrer et sortir de sa cellule-hôte", précise la spécialiste.
De manière générale, les protéases agissent comme des ciseaux moléculaires qui, en coupant certaines protéines, permettent leur activation. Une des deux protéases identifiées par les chercheurs genevois est indispensable à la maturation de facteurs impliqués dans la perforation de la membrane plasmique de la cellule infectée, ce qui permet au parasite d’en sortir.
La seconde permet l’activation de protéines d’adhésion nécessaires à l’invasion de la cellule-hôte. Ces deux protéases constituent donc un élément absolument central à la survie et à la propagation du Plasmodium.
Cycle de vie complexe
"Plasmodium a un cycle de vie complexe et rencontre des cellules hôtes très différentes, que ce soit dans le sang, le foie ou même dans l’intestin du moustique. Ce qui est incroyable, c’est qu’à chaque fois, il utilise ces deux mêmes protéases aspartiques", souligne Volker Heussler, professeur à l’Institut de biologie cellulaire de l’Université de Berne et cosignataire de l’étude.
"En frappant à plusieurs endroits à la fois, nous pourrions donc espérer combattre la maladie chez l’homme mais aussi interrompre la transmission du parasite au moustique, la seule manière de réellement juguler ce fléau", ajoute le chercheur.
Des inhibiteurs de protéases aspartiques impliquées dans la dégradation de l’hémoglobine avaient été étudiés il y a quelques années puis abandonnés, à cause du faible potentiel thérapeutique de cette voie métabolique. L’un d’entre eux s’est révélé particulièrement performant pour bloquer les deux protéases identifiées.
De plus, comme le souligne la Pre Soldati-Favre, les chercheurs ne sont pas parvenus à faire émerger expérimentalement des parasites résistants: "Comme cet inhibiteur bloque en même temps deux enzymes et non une seule, la probabilité que les deux deviennent résistantes en même temps est extrêmement faible, ce qui nous permet de relever l’un des plus grands défis de la lutte contre le paludisme".
Talon d'Achille
La découverte des équipes suisses, publiée dans la revue Science, révèle donc un talon d’Achille chez Plasmodium. Ces recherches, menées grâce au soutien de la Fondation Carigest, du Fond national suisse et de la société pharmaceutique Actelion, pourraient de surcroît marquer un tournant dans la lutte contre d’autres parasitoses.
L’équipe genevoise a en effet récemment rapporté dans la revue eLife des résultats similaires sur le parasite responsable de la toxoplasmose.
Endémique dans de vastes zones tropicales de la planète, le paludisme tue chaque année plus de 500’000 personnes, dont environ 80% d’enfants de moins de 5 ans. Si des stratégies thérapeutiques existent, elles demeurent jusqu’ici modérément efficaces.
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