«Plus dramatique que jamais» Pénurie de médicaments durable et préoccupante en Suisse

olpe, ats

26.12.2023 - 09:03

Des centaines de médicaments sont en rupture de stock ou difficilement accessibles en Suisse, parmi lesquels environ 200 posent un sérieux problème. Après les importants manques de l'hiver dernier, la situation demeure critique y compris pour des produits courants.

Les médecins croisent les doigts pour que des événements soudains, comme le virus respiratoire qui avait frappé les enfants l'hiver passé, ne se reproduisent pas (archives).
Les médecins croisent les doigts pour que des événements soudains, comme le virus respiratoire qui avait frappé les enfants l'hiver passé, ne se reproduisent pas (archives).
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Keystone-SDA, olpe, ats

Amoxicilline (antibiotiques), solution injectable pour diabétiques (Ozempic), vaccins pour les enfants ou contre la rage, tranquillisants comme les benzodiazépines, antidouleurs: la liste des substances et produits manquants recensés par les sites spécialisés est longue comme le bras.

Que ce soit sur drugshortage.ch, sur la plateforme des ruptures de médicaments des Hôpitaux universitaires genevois (HUG), sur la pharmacie en ligne Zur Rose ou encore sur la liste ad hoc de l'Office fédéral pour l'approvisionnement économique du pays (OFAE), le constat est le même: la situation est très tendue. Drugshortage.ch recense ainsi pas moins de 786 produits manquants, dont 360 substances actives.

«Plus dramatique que jamais»

«Nous avons deux personnes qui s'occupent à plein temps uniquement de chercher des alternatives pour pallier les ruptures d'approvisionnement. Toutes les classes de médicaments sont plus ou moins affectées», déclare à Keystone-ATS Pascal Bonnabry, pharmacien-chef aux HUG.

Il évoque une évolution «plutôt inquiétante», qui concerne tout le pays. «Depuis l'hiver dernier, qui avait été particulièrement difficile, la situation s'est stabilisée, à un niveau (de pénurie) élevé», ajoute M. Bonnabry. Globalement, la situation ne cesse de se dégrader depuis 10 ou 15 ans, dit-il. Les médecins croisent les doigts pour que des événements soudains, comme le virus respiratoire qui avait frappé les enfants l'hiver passé, ne se reproduisent pas.

Responsable de la division produits thérapeutiques à l'OFAE, Christoph Amstutz pointe la «forte dépendance» de l'Europe vis-à-vis de l'Asie (Chine, Inde) pour les substances actives, source de nombreux problèmes. Les fermetures de sites de production et les délocalisations opérées ces 15 dernières ont été une «énorme erreur», dit-il.

Certes, les prix de certains médicaments ont été divisés par dix, ou plus, mais il suffit d'un grain de sable pour dérégler toute la chaîne d'approvisionnement. Et entre le Covid-19, les accidents d'usine et la guerre en Ukraine, le monde fait face aujourd'hui à une tempête de «grains de sable», qui perturbe à la fois la production et l'acheminement des substances actives, la fabrication même du médicament et celle des emballages.

La situation est «plus dramatique que jamais», s'inquiète le fournisseur Zur Rose (en mains de Migros). «La pénurie concerne en premier lieu des médicaments courants bon marché qui ne sont plus protégés, des génériques, tels des antidouleurs, antibiotiques, sirops contre la toux, médicaments contre le cancer, mais aussi des anticoagulants ou le Temesta (anxiolytique)», indique le responsable de la communication Simon Marquard.

Très forte dépendance

La commission européenne a publié au début du mois une liste de plus de 200 substances et de plusieurs centaines de médicaments considérés comme «critiques» pour l'UE et pour lesquels elle veut renforcer l'"autonomie» du Vieux-Continent.

La Suisse s'efforce de négocier une solution avec l'UE, indique Christoph Amstutz. En attendant, le fait qu'elle soit à l'écart de l'organisation ne facilite pas les choses.

M. Amstutz illustre ainsi l'hyperconcentration du secteur: un tiers des substances actives des génériques pour le marché américain par exemple sont produits sur un seul et même site, le plus souvent en Inde ou en Chine, selon la base de données Clarivate Analytics’ Cortellis Generics Intelligence.

Pour l'Europe, une autre étude, de MundiCare, a révélé que 70% des médicaments génériques fabriqués en Europe et au Japon contiennent des substances actives venues de Chine. Le Vieux-Continent a massivement délocalisé depuis 15 ou 20 ans.

La Suisse est certes le pays de la pharma. Mais les géants bâlois se concentrent aujourd'hui essentiellement sur les médicaments «prestigieux», qui dégagent des marges élevées. Des produits très usuels comme le Lexotanil (ou Lexomil), autrefois fierté de la chimie bâloise, sont désormais produits par d'autres (petits) acteurs, qui n'arrivent pas toujours à suivre pour la fabrication.

Les patients n'ont d'autre choix, parfois, que de prendre un produit alternatif moins adapté ou d'aller se fournir à l'étranger: «Vous avez tout compris, les Suisses viennent s'approvisionner chez nous», glisse un pharmacien d'Annemasse (Haute-Savoie).

La pénurie de produits courants entraîne un manque d'autres médicaments sur lesquels les patients doivent se rabattre. Ainsi, le manque de Temesta provoque, par un effet boule de neige, une tension pour le Lexotanil ou d'autres tranquillisants.

Personnes âgées très touchées

Le problème touche particulièrement les personnes âgées. Celles qui ont l'habitude de recourir à des tranquillisants (en rupture) se voient parfois administrer, par défaut, des antipsychotiques, qui sont des médicaments très lourds. Cela n'arrange pas les choses.

L'OFAE ne s'occupe que des médicaments dits «critiques», ou «d'importance vitale», catégorie pour la laquelle il a dû constituer des réserves obligatoires (pour trois mois) pour 200 produits.

Cette liste, aux yeux de certains pharmaciens, est cependant beaucoup trop restrictive. Elle est trois fois plus courte que celle des médicaments critiques reconnus par l'UE, déplore Pascal Bonnabry.

En attendant de remédier à la source du problème, la taskforce suisse «pénurie de médicaments» recommande toujours la remise de certains médicaments en quantités fractionnées (sorties de l'emballage et limitées).