La prudence reste de mise Poutine-Biden, une relation équilibrée, mais sans illusions

ATS

17.6.2021 - 07:51

Après les attaques à distance, le face-à-face apaisé: les présidents américain Joe Biden et russe Vladimir Poutine ont semblé mercredi à Genève vouloir établir une relation personnelle pragmatique pour sortir de l'impasse diplomatique entre les Etats-Unis et la Russie. Mais d'autres présidents américains ont dû déchanter par le passé.

Keystone-SDA

À Genève, les deux hommes ne se sont pas présentés ensemble devant les journalistes, mais le drôle de dialogue par conférences de presse successives, ponctué de clins d'oeil réciproques, a donné l'impression d'un échange équilibré.
À Genève, les deux hommes ne se sont pas présentés ensemble devant les journalistes, mais le drôle de dialogue par conférences de presse successives, ponctué de clins d'oeil réciproques, a donné l'impression d'un échange équilibré.
KEYSTONE

«C'était une assez bonne première rencontre», estime Ian Bremmer, président de la société d'expertise Eurasia Group. «Je pense que les deux camps ont décidé de souffler un peu et de voir s'il est possible d'améliorer les relations», dit-il à l'AFP.

À Washington, de nombreux élus républicains avaient mis en garde le président démocrate contre un sommet qui, à défaut de déboucher sur des résultats concrets, risquait de faire le jeu du maître du Kremlin.

Joe Biden semblait surtout soucieux de se démarquer de son prédécesseur à la Maison-Blanche Donald Trump qui, à force de vouloir instaurer un lien amical avec son homologue russe, avait paru en position d'infériorité lors de leur conférence de presse commune de l'été 2018 à Helsinki. Cela lui avait valu les critiques virulentes de son propre camp conservateur.

«Assez séduisant»

À Genève, les deux hommes ne se sont donc pas présentés ensemble devant les journalistes, mais le drôle de dialogue par conférences de presse successives, ponctué de clins d'oeil réciproques, a donné l'impression d'un échange beaucoup plus équilibré.

«C'était important de se rencontrer en personne», a plaidé Joe Biden. Le dirigeant de 78 ans a souligné que la politique étrangère était pour lui «le prolongement logique des relations personnelles».

«Il a parlé de sa famille, de ce que lui disait sa maman [...] cela en dit beaucoup sur ses valeurs morales. C'est assez séduisant», a d'ailleurs glissé le Russe au sujet de l'Américain. La rencontre, qui a duré plus de trois heures, était «informelle», a reconnu ce dernier en s'en amusant presque.

Et des deux côtés, un même satisfecit sur des entretiens à la tonalité «positive», pour M. Biden, «constructive» et sans «aucune animosité» pour M. Poutine. On est loin des piques des derniers mois, lorsque le nouveau président américain avait estimé, en réponse à un journaliste, que Vladimir Poutine était «un tueur».

«Cela aurait pu beaucoup moins bien se passer»

Avant et après le tête-à-tête en Suisse, Joe Biden a refusé de réitérer cette attaque frontale, préférant le qualifier de dirigeant «intelligent» mais «dur». Et l'intéressé a aussi voulu tourner la page mercredi, jugeant «satisfaisantes» les «explications» de son homologue américain.

Yuval Weber, chercheur au cercle de réflexion Wilson Center, estime que «cela aurait pu beaucoup moins bien se passer». «Ils auraient pu échanger des noms d'oiseaux, se faire la leçon, avoir un dialogue de sourds».

Selon lui, le président américain, en disant que son interlocuteur est «un adversaire qui doit être reconnu à sa juste valeur et que la Russie est une grande puissance», voulait «dire des choses dont M. Poutine peut ensuite se saisir pour redorer le statut de la Russie».

«Occasion manquée»

Les résultats concrets sont cependant quasiment inexistants. Joe Biden a, certes, évoqué «une perspective sincère d'améliorer de manière significative les relations», mais il a aussi assuré à plusieurs reprises qu'il n'avait nullement décidé de faire «confiance» à Vladimir Poutine et que seul l'avenir dirait si cette amélioration se concrétiserait.

L'expérience l'incite à la prudence. En 2001, le président américain de l'époque, George W. Bush, avait salué en Vladimir Poutine «un dirigeant remarquable», avant une nette dégradation. Et même Barack Obama, dont Joe Biden était le vice-président, avait tenté en vain un «reset» ou «redémarrage», des relations américano-russes. L'actuel président se veut donc pragmatique et place la barre relativement bas.

M. «Biden est quelqu'un qui veut des relations constructives. Il ne considère pas M. Poutine comme un ami pour autant», explique Ian Bremmer. «Il s'attend à ce que la Russie agisse dans ses propres intérêts et, comme les deux pays ont certains intérêts convergents, ils peuvent travailler ensemble» sur ces sujets.

Mais pour constater un vrai réchauffement, poursuit cet expert, «je veux voir une diminution drastique, dans les trois prochains mois, des attaques aux rançongiciels venues de Russie et rien de l'échelle de celle qui a visé Colonial Pipeline», le groupe d'oléoducs paralysé en mai, provoquant des pénuries d'essence dans plusieurs grandes villes des Etats-Unis.

Le scepticisme est plus fort encore dans les rangs de l'opposition américaine, le sénateur républicain Jim Risch évoquant une «occasion manquée de rechercher une nouvelle approche qui s'attaque vraiment au comportement néfaste de la Russie».