Seconde Guerre mondiale Le jour où des aviateurs américains ont bombardé Schaffhouse

1.4.2019

Le 1er avril 1944, l’impensable s’est produit: des bombes se sont abattues sur une ville suisse. Des aviateurs de l’armée de l’air américaine ont attaqué Schaffhouse par erreur. Bilan: plus de 40 morts, 270 blessés, près de 500 sans-abris et la disparition de 1000 emplois. 

Il y a exactement 75 ans, un escadron égaré de l’armée de l’air américaine a largué des bombes sur Schaffhouse, pour un bilan de plus de 40 morts, 270 blessés, près de 500 sans-abri et un millier d’emplois perdus.

Le premier patient admis à l’hôpital était un garçon dont la jambe avait été arrachée par une bombe explosive. Le garçon s’était à peine plaint, s’est étonné plus tard le médecin de garde. Le petit garçon avait juste peur de manquer la rentrée des classes, lui qui était si impatient de faire sa première année.

La cheminée est toujours debout, mais tout ce qui était autour a été détruit.
La cheminée est toujours debout, mais tout ce qui était autour a été détruit.
Keystone

Une seule ambulance était disponible, mais la plupart des victimes ont pu être transportées dans la mesure où la principale cible du bombardement était la gare voisine. Les victimes venues de plus loin ont été amenées une par une par un particulier au volant de sa Topolino – la Fiat 500 de l'époque – une voiture presque aussi petite qu’une Smart.

Il était impossible d’imaginer l’«affreuse cochonnerie» qu’un tel bombardement a provoquée, comme l’a déclaré plus tard le commandant Arbenz des troupes de protection aérienne au club des chasseurs de sons de Zurich. Il y avait des gens qui avaient la tête arrachée et dont seule la colonne vertébrale dépassait du col. Cela l’a rendu incroyablement furieux contre les pilotes, a-t-il expliqué.

Une curiosité fatale

Ce samedi avait pourtant si bien commencé. Le ciel était bleu et une brise légère berçait la ville lorsqu’à 10h39, l’alerte aérienne a été déclenchée. Si près de la frontière, l’alarme retentissait en moyenne deux fois par semaine. Nombreux étaient ceux qui avaient arrêté d’aller dans les abris et qui sortaient plutôt pour «compter les avions». Il régnait une «curiosité insouciante», a écrit la «NZZ».

Les bombardiers qui volaient en formation étaient «jolis à regarder», a raconté Nelly Russenberger, une couturière qui observait le spectacle depuis la fenêtre ouverte de son atelier. Alors que le premier escadron a effectué un largage d’urgence et que le deuxième est resté inactif, le troisième a totalement surpris les habitants à 10h58 en projetant en l’espace de 40 secondes près de 400 bombes au-dessus de Schaffhouse.

Environ 500 personnes, comme les habitants de cette maison bordant le Moserdamm, ont perdu leur toit.
Environ 500 personnes, comme les habitants de cette maison bordant le Moserdamm, ont perdu leur toit.
Keystone

Un cap complètement perdu

Les trois escadrons faisaient partie d’une division comptant au total 1000 avions qui avait décollé du sud de l’Angleterre en direction de l’usine chimique IG Farben à Ludwigshafen. Mais la plupart d’entre eux avaient changé de cap lors de la traversée de la Manche en raison d’une mauvaise visibilité et du vent qui avait dévié les appareils et affolé les radars.

Les escadrons qui sont parvenus à rallier le sud de l’Allemagne ont cherché en vain Ludwigshafen et rebroussé chemin. Lors du vol retour vers l’Angleterre, un bombardier américain a diffusé un message indiquant que son escadron avait bombardé une dernière cible possible «à 10h50 pour un résultat mitigé».

Les dépouilles de ce «résultat mitigé» ont été inhumées le 4 avril 1944 au Waldfriedhof en présence de dignitaires militaires, politiques et religieux de toute la Suisse. Le gouvernement a envoyé les Conseillers fédéraux Karl Kobelt et Ernst Nobs.

Les victimes du bombardement reposent au Waldfriedhof.
Les victimes du bombardement reposent au Waldfriedhof.
Keystone

Sorry, Folks!

Le dimanche qui a suivi le brasier, le général américain Carl Spaatz a présenté ses excuses à la ville de Schaffhouse. Le président Franklin D. Roosevelt lui a emboîté le pas. Les Etats-Unis ont prévu d’indemniser Schaffhouse à hauteur de 40 millions de francs. Une première tranche de 17 millions de francs est rapidement arrivée.

Le reste s’est fait attendre jusqu’en 1949, l’accord ayant été sujet à controverse au Congrès américain: les élus ont dénoncé le fait que la Suisse avait alors profité pour la deuxième fois d’une guerre sans devoir verser de sang. Comme par hasard, c’était ce pays qui exigeait des dommages-intérêts… Avec des intérêts moratoires, par-dessus le marché! Selon les sources, les Etats-Unis ont finalement versé entre 52 et 62 millions de francs.

Malgré les excuses, les bombardements étaient loin d’être terminés. Par exemple, le 22 février 1945, lorsqu’un émissaire de Franklin D. Roosevelt est venu déposer une gerbe sur les tombes des victimes des bombes de Schaffhouse, ce dernier a pu voir des avions américains larguer des bombes sur Stein am Rhein, Neuhausen am Rheinfall et Rafz.

Ce n’est qu’à l’issue d’une rencontre en mars 1945 entre le Conseil fédéral et le général Carl Spaatz que l’armée de l’air américaine a pris plus de précautions: les largages ne devaient avoir lieu que si la cible se trouvait bien sur le sol allemand et si cela ne présentait pas de risque.

La vieille ville est également tombée en ruines.
La vieille ville est également tombée en ruines.
Keystone

Du caramel de la marque US Air Force

En prenant en compte les victimes qui n’ont succombé à leurs blessures qu’après les funérailles du 4 avril, le bombardement a fait 47 à 60 victimes – les chiffres varient. Le bilan aurait pu être plus lourd: 18 jours après cette hécatombe, une munition non explosée a été retrouvée coincée sous une voie de chemin de fer. 275 trains étaient passés dessus à toute vitesse sans la déclencher.

Les enfants de Schaffhouse ont également eu un peu de chance dans ce malheur: après l’incendie d’un entrepôt de sucre provoqué par une bombe au phosphore, du sucre fondu et caramélisé s’est écoulé sur la façade. Les enfants ont pu la lécher pendant deux jours, raconte-t-on.

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