Initiative sur les privilèges fiscauxQuel est le rapport entre les impôts et l’égalité des sexes?
D'Anna Kappeler
21.11.2020
Se marier – et ensuite, si l’on est une femme, travailler moins pour ne pas risquer de payer plus d’impôts? Les femmes PLR veulent changer cela et réclament une imposition séparée des conjoints. Voici ce que vous devez savoir.
Pas de romantisme ici: les couples fraîchement mariés se retrouvent vite pénalisés. Cette perspective dérange les femmes PLR, qui présenteront donc en février 2021 une initiative populaire pour l’introduction de l’imposition individuelle. Le communiqué de presse du mois d'octobre évoque un «pas important vers l’égalité».
Attendez… Quel est le rapport entre les impôts et l’égalité des sexes?
Le système fiscal actuel se fonde sur le tableau familial du couple marié à un seul revenu, soit la famille classique. Les couples mariés sont imposés ensemble, leurs revenus sont additionnés. Si le deuxième conjoint travaille également, le revenu augmente et le couple glisse vers un palier de progression supérieur.
En se mariant, un couple s’oblige à payer des impôts disproportionnellement plus élevés. Si des frais de garde d’enfants supplémentaires sont également engagés, une grande partie de la deuxième source de revenu disparaît immédiatement. Dans la pratique, la deuxième source de revenu est encore souvent celle de l’épouse, car elle a tendance à gagner moins que le mari et à travailler plus souvent à temps partiel.
Que faire?
Si la volonté des femmes PLR est suivie, il faudra procéder à un changement de système vers une imposition individuelle. «Il est inacceptable que le potentiel des femmes bien formées ne puisse être pleinement exploité sur le marché du travail suisse en raison d’incitations financières négatives», a déclaré Susanne Vincenz-Stauffacher, présidente des femmes PLR Suisse, dans le communiqué. Ces propos sont corroborés par des études: jusqu’à 60'000 postes à temps plein pourraient ainsi être pourvus, écrit la «NZZ am Sonntag».
Qu’est-ce que cela signifie en chiffres?
Avec l’imposition individuelle, il serait par exemple intéressant pour environ 300 000 femmes d’augmenter leur nombre d’heures de 20%, selon Susanne Vincenz-Stauffacher. Ce chiffre correspondrait à une femme active sur sept. Pour la présidente des femmes PLR, cette évolution est tout à fait dans l’esprit de l’économie générale, qui bénéficierait grâce aux femmes de davantage de main-d’œuvre qualifiée sans devoir la chercher à l’étranger.
Quels sont les arguments contre l’imposition individuelle?
Le type d’imposition des couples mariés fait l’objet de discussions au Parlement depuis une quinzaine d’années. En 2014 et 2019, le Conseil fédéral a rejeté le passage à un système d’imposition individuel en réponse à des interventions parlementaires. Le Conseil fédéral a par exemple évoqué une augmentation de la charge pour les couples mariés à un seul revenu ainsi que la menace d’une baisse des recettes fiscales et d’un surcroît de charge administrative.
Que dit le Parlement?
Le PLR, le PS et Les Verts sont favorables à l’imposition individuelle, tandis que l’UDC et le PDC veulent maintenir l’imposition commune des couples mariés. Néanmoins, une motion du groupe parlementaire PLR intitulée «Passage à l’imposition individuelle» a été adoptée au sein des deux conseils en 2004.
Dans le communiqué, les femmes PLR regrettent l’absence de mesures supplémentaires du côté du Conseil fédéral. C’est pour cette raison que la conseillère nationale PLR Christa Markwalder a surenchéri en 2019 avec la motion «Passage rapide à l’imposition individuelle en Suisse».
Le Conseil fédéral n’a rien voulu entendre, se justifiant ainsi: «Le projet d’imposition équilibrée du couple et de la famille est en suspens au Parlement. Dans le cadre de cette discussion, les Chambres fédérales peuvent se prononcer sur le choix du modèle dans l’imposition des couples mariés.» Cette intervention n’a pas encore fait l’objet de discussions au Parlement.
Quel est le rapport avec l’initiative populaire du PDC sur la pénalisation du mariage?
Bien que son objectif soit également d’abolir la pénalisation du mariage, le PDC entend prolonger l’imposition commune des conjoints. Si l’initiative est acceptée, l’introduction de l’imposition individuelle ne serait plus possible sans un amendement constitutionnel. L’initiative des femmes PLR est donc une attaque directe contre celle du PDC.
Pour rappel, son initiative «Pour le couple et la famille - Non à la pénalisation du mariage» a échoué de peu aux urnes en 2016. Le Tribunal fédéral a ensuite pris une décision historique en invalidant la votation suite à des erreurs de chiffres commises par la Confédération. Une nouvelle votation devrait également avoir lieu l’an prochain.
Quelles sont les réactions?
Chose peu surprenante, le PDC formule des critiques. «L’imposition individuelle ne fera qu’engendrer de nouvelles injustices», a déclaré Pirmin Bischof, représentant PDC au Conseil des Etats, à la «NZZ am Sonntag». L’imposition individuelle constitue selon lui une discrimination contre les couples mariés n’ayant qu’un seul revenu et pénalise ainsi la famille classique.
«Nous partageons cette préoccupation», a déclaré au journal la conseillère nationale PVL Kathrin Bertschy, coprésidente de l’organisation faîtière de sociétés féminines Alliance F. Le Conseil fédéral a selon elle clairement pour mandat de présenter un objet fédéral au Parlement.
Une question demeure: pourquoi l’initiative populaire n’est-elle pas prévue avant 2021?
Cela n’a rien d’un hasard. En 2021, le mouvement féministe fêtera un anniversaire historique. Le 7 février 2021, cela fera 50 ans que le droit de vote et d’éligibilité des femmes a été introduit en Suisse. Les femmes PLR évoquent une «contribution libérale» à cet anniversaire.