Entreprises responsables Initiative refusée par la majorité des cantons, un «signal» pour les partisans

29.11.2020

L'initiative "pour des multinationales responsables" a fait les frais de la règle de la double majorité. Malgré 50,7% de "oui", le texte qui voulait imposer des règles strictes aux entreprises a été rejeté par plus de la moitié des cantons.

Seuls huit cantons et demi se sont montrés favorables à l'initiative populaire "Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement". Le texte a ainsi passé la rampe dans tous les cantons romands, à l'exception du Valais, qui le rejette par 56% des voix. Le Jura l'a plébiscité avec 68,7% de "oui", suivi de Neuchâtel (64,6%), Genève (64,2%), Vaud (59,8%) et Fribourg (56,6%).

Berne a accepté par 54,6% des voix, avec même près de 61% de "oui" dans le Jura bernois et à Bienne. Les habitants de Bâle-Ville ont soutenu le texte à 61,9% de voix, les Zurichois à 52,8% et les Tessinois, à 54,2%.

En Suisse alémanique, les cantons avec de grands centres urbains n'ont pas réussi à faire la différence. Le rejet le plus fort est venu de cantons conservateurs comme Nidwald, Schwyz et Appenzell Rhodes-Intérieures, avec plus de 65% de refus.

Lucerne (56%), St-Gall (57,7%), Glaris (52,9%) et les Grisons (54,2%), où les opposants à l'initiative avaient renforcé leur campagne au cours des dernières semaines, ont aussi refusé le texte, faisant pencher la balance.

Au final, quelque 1,299 million de personnes ont glissé un "oui" dans l'urne. Environ 1,261 million de personnes ont voté "non".

Karin Keller-Sutter «Mise en vigueur rapide du contre-projet»

Après le rejet de l'initiative "pour des entreprises responsables", le contre-projet indirect élaboré par le Parlement pourra entrer en vigueur. Le Conseil fédéral va définir rapidement les dispositions d'exécution, a indiqué dimanche la ministre de la justice Karin Keller-Sutter.

La voie proposée par l'initiative a été refusée, mais pas le but qu'elle visait. Le Parlement et le Conseil fédéral étaient eux aussi favorables à ce que les entreprises respectent les normes environnementales et les droits humains à l'étranger, a rappelé la conseillère fédérale en se réjouissant du résultat.

Le contre-projet va pouvoir entrer en vigueur si le référendum n'est pas saisi dans un délai de 100 jours. Il oblige pour la première fois les entreprises suisses à contrôler de manière transparente les risques de leurs activités pour l'environnement et la population à l'étranger, a affirmé Mme Keller-Sutter.

Ces entreprises devront notamment faire preuve d’un devoir de diligence en matière de travail d’enfants et de minerais de la guerre. La Suisse ira parfois même plus loin que certains pays, s'est félicité la conseillère fédérale.

"La mobilisation en faveur du texte n'aura pas été vaine", a-t-elle assuré. Le Conseil fédéral s’engagera aussi en faveur d’initiatives coordonnées au niveau international. L’économie doit prendre ses responsabilités.

Pas de cavalier seul

A droite de l'échiquier politique, le PLR se réjouit que la Suisse "ne fasse pas cavalier seul au niveau international, ce qui aurait placé nos entreprises face à de nombreux défis". Le contre-projet initié par la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, "a été plus convaincant que les fausses images de la campagne des initiants".

L'UDC voit dans le résultat serré de la votation "un signal d'alarme" à l'adresse des organisations économiques et des partis du centre, par rapport à leurs "liaisons dangereuses avec la gauche". Pour le parti, "il est temps que ces milieux se souviennent à nouveau des vraies valeurs libérales".

L'UDC est toutefois soulagée de constater que les citoyens suisses n'ont pas cédé au "chantage moralisateur des initiants". Le texte aurait gravement nui à l'économie suisse et menacé des milliers d'emplois.

Le PDC se réjouit pour sa part que le contre-projet puisse maintenant entrer en vigueur. Cet outil représente selon lui la voie la plus efficace pour mettre en oeuvre les objectifs de l'initiative, partagés par le parti.

Aucun "blanc-seing"

A gauche, le PS se dit très déçu du résultat, mais y voit toutefois un signal fort adressé aux milieux économiques. "Aucun blanc-seing ne sera toléré et les multinationales doivent assumer leurs responsabilités".

Membre du comité d'initiative, l'ancienne présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey se dit "déçue d'échouer aussi près du but". Elle salue tout de même auprès de Keystone-ATS une "mobilisation incroyable et un résultat dont nous n'avons pas à rougir".

Avec ce rejet, la Suisse risque d'être "une nouvelle fois dernière, comme ça a été le cas pour le blanchiment d'argent ou le secret bancaire", écrit Dick Marty (PLR/TI).

Amnesty International, l'une des nombreuses organisations à avoir soutenu le texte, relève que la Suisse a manqué une occasion d'imposer aux multinationales une règlementation efficace pour les obliger à protéger les droits humains et l'environnement. L'ONG considère toutefois que le "oui" du peuple constitue un succès historique et un appel au Conseil fédéral et au Parlement.

Le sujet n'est pas clos

Le résultat serré montre qu'une partie des votants souhaite des multinationales et une place financière responsables, relèvent les Verts. Le "oui" du peuple à l’initiative signifie que le contre-projet ne saurait clore le sujet. L'évolution en Europe montre que la Suisse sera tôt ou tard obligée de légiférer pour que ses entreprises respectent des normes environnementales et les droits humains à l'étranger.

L'Union syndicale suisse (USS) estime pour sa part qu'il faudra prendre au mot les promesses des opposants durant la campagne - qui affirmaient soutenir les objectifs de l'initiative - et vérifier qu'elles soient tenues. Elle insistera pour une mise en œuvre conséquente du contre-projet et s'engagera pour que le soutien populaire se reflète dans la rédaction de l'ordonnance.

Les Verts'libéraux, regrettent également le "non" à l'initiative et expliquent ce résultat par les préoccupations liées à l'insécurité juridique pour les PME. Le fort soutien en faveur de l’initiative est un signal fort qui doit être écouté par la classe politique, estime le parti.

Contre-projet

Cet échec ouvre la voie à l'entrée en vigueur du contre-projet indirect élaboré par le Parlement. L'initiative populaire exigeait des sociétés qui ont leur siège en Suisse de veiller au respect des droits de l'homme et des normes environnementales internationalement reconnues. Ces sociétés auraient dû effectuer ces contrôles pour leurs activités en Suisse, mais aussi pour celles à l'étranger.

Les multinationales auraient répondu des dommages causés par leurs filiales, mais pas pour les actions de leurs fournisseurs. De grands groupes comme Glencore, Syngenta ou Lafarge-Holcim étaient visés. Si une violation était commise par l’une de leurs filiales à l’étranger, la maison-mère en aurait été tenue responsable, à moins qu'elle ne démontre qu'elle a fait preuve de la diligence requise pour prévenir le dommage.

Règles moins sévères

Le contre-projet indirect ne va pas aussi loin. Adopté par une majorité de centre-droit à l'issue d'une longue bataille au Parlement, cette alternative ne réglemente pas explicitement la responsabilité de la maison-mère pour les entreprises contrôlées à l’étranger. Elle n'introduit pas de nouvelles normes, mais prévoit de nouvelles obligations.

A l'avenir, les entreprises concernées devront rendre un rapport annuel sur leur politique dans le domaine des droits de l’homme et de l’environnement. Elles devront aussi faire preuve d’un devoir de diligence en matière de travail d’enfants et de minerais de la guerre.

En cas d’infraction aux nouvelles obligations de rendre compte des risques que font courir leurs activités commerciales à l’étranger, une amende allant jusqu’à 100'000 francs est prévue.

Longue campagne

L'initiative, déposée en octobre 2016, était soutenue par 130 organisations non gouvernementales, d'aide au développement, de défense des droits de l'homme et de l'environnement. Les initiants ont lancé l'offensive bien avant que la date de la votation ne soit fixée avec des bénévoles engagés dans près de 450 comités régionaux.

Partout, sur les balcons, les fenêtres ou dans les jardins, les banderoles orange pour des multinationales responsables ont fleuri. Les sondages ont longtemps donné l'avantage à l'initiative.

Du côté des partis, la gauche l'a soutenu en bloc, alors que les autres partis se sont montrés plus partagés. Le PVL recommandait le "oui", mais sans faire l'unanimité auprès de tous ses membres. L'UDC et le PLR étaient contre, bien que plusieurs voix dissidentes se soient fait entendre.

Le centre était encore plus divisé. Le PBD recommandait le "oui". Le PDC y était opposé, avec là aussi plusieurs parlementaires et les jeunes du parti soutenant le texte.

Réactions contrastées

La directrice romande d'economiesuisse Cristina Gaggini se dit très soulagée du rejet de l'initiative "pour des entreprises responsables". Selon elle, le contre-projet est suffisant et cible de manière incisive les problèmes prioritaires.

"Ce résultat est un grand soulagement, car l'initiative faisait peser une incertitude sur l'ensemble du tissu économique suisse, y compris les PME", a déclaré M. Gaggini à Keystone-ATS. Elle aurait également détérioré la relation avec d'autres Etats en s'ingérant dans leur souveraineté.

Cristina Gaggini ne se dit absolument pas surprise de la forte disparité des votes entre Suisse alémanique et Suisse romande. Selon elle, cela s'explique notamment par la plus forte sensibilité des Romands par rapport à la question des droits de l'homme, par une plus forte présence de la gauche dans la partie francophone du pays, ainsi que par la présence de sièges d'organisations internationales et d'ONG, à Genève par exemple.

Les Suisses alémaniques sont également plus enclins à tenir compte des impératifs économiques, relève-t-elle.

Pas de perte de confiance

Pour le président d'economiesuisse Christoph Mäder, le résultat serré du vote ne traduit toutefois pas une perte de confiance dans l'économie. Il souligne que les abus d'entreprises ne concernent que quelques rares cas.

Le contre-projet qui sera mis en oeuvre répond aux normes internationales et aborde spécifiquement les thématiques importantes. Les entreprises vont maintenant mettre en oeuvre leurs stratégies pour un comportement plus durable.

La Suisse est un cancre selon Dick Marty Berne

L'ancien conseiller aux Etats Dick Marty, qui s'est largement engagé dans la campagne pour des entreprises responsables est déçu du non du peuple dimanche. La crise économique liée au coronavirus a sans doute joué un rôle.

Avec le rejet de l'initiative "pour des multinationales responsables", la Suisse risque d'être "une nouvelle fois dernière, comme ça a été le cas pour le blanchiment d'argent ou le secret bancaire", écrit Dick Marty (PLR/TI) sur le live blog du comité d'initiative.

La crise économique a eu un impact certain sur les votants, a ajouté le Tessinois, lors du livestream organisé par les initiants. "Quand on a peur, instinctivement, on s'accroche à ce qu'on a et on ne veut pas essayer des nouvelles choses", a-t-il dit, tout en saluant "la Suisse progressiste, humaniste qu'est la Suisse latine".

Lisa Mazzone se dit "extrêmement déçue" du rejet de l'initiative Berne

La conseillère aux Etats Lisa Mazzone (Verts/GE) se dit extrêmement déçue du rejet de l'initiative "pour des entreprises responsables". Elle salue toutefois une mobilisation incroyable.

"Un débat très large a eu lieu dans l'ensemble du pays, qui pose la question de savoir quelles valeurs nous voulons assurer dans une économie globalisée", souligne Lisa Mazzone. Elle relève également des résultats assez serrés dans plusieurs cantons alémaniques.

"Il s'agit maintenant de maintenir cette mobilisation et avoir d'autres espaces pour la perpétuer", ajoute la Genevoise. Elle estime que le résultat du vote est aussi un message au Parlement et que la Suisse devra immédiatement embrayer quand l'Union européenne ira de l'avant sur ce sujet. "J'attends du Conseil fédéral qu'il présente dès maintenant la manière dont il prendra le train en route".

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